Les Yeux et la mémoire
|
Les Yeux et la mémoirePoème(1954)Les Yeux et la mémoire est un poème divisé en 15 chants, composé par Aragon - selon ses propres indications - du 15 novembre 1953 au 26 juillet 1954. L'oeuvre paraît le 19 octobre 1954 chez Gallimard. Presqu'au même moment, trois autres ouvrages d'Aragon sortent en librairie: le 21.10.1954: La Lumière de Stendhal (recueil d'articles); le 28.10.1954: Journal d'une poésie nationale (recueil d'articles d'Aragon et de poèmes de jeunes auteurs français); 4e trimestre 1954: Mes caravanes (recueil de poèmes). Les Yeux et la mémoire, rédigé au plus fort de la Guerre froide, réunit des textes politiques et idéologiques faisant référence, d'un point de vue partisan, à des événements d'actualité, à des strophes dans lesquelles le Je lyrique s'adonne à des confessions personnelles et à des descriptions poétiques. Le poème constitue donc, en premier lieu, un document témoignant de la vision du monde et de l'auto-vision de son auteur à ce moment historique qui suit la crise déclenchée, chez Aragon, par l'affaire de la publication du portrait de Staline, par Picasso, dans Les Lettres françaises (mars 1953). À côté de passages d'une poésie saisissante, l'ouvrage contient des séquences qui comptent parmi les textes les plus ouvertement communistes écrits par Aragon sous forme de poème, empreints d'un enthousiasme crédule susceptible de provoquer le hochement de tête du lecteur d'aujourd'hui. D'après les notes ajoutées au poème par Aragon lui-même, Les Yeux et la mémoire a été conçu comme une réaction au roman Le Cheval roux,ou les intentions humaines d'Elsa Triolet paru en octobre 1953. Ce roman part de la menace que la bombe atomique fait peser sur la vie humaine et célèbre, en même temps, la volonté qu'a l'homme de survivre aux catastrophes. Pour Aragon, le poème est donc "l'expression des sentiments nés de la lecture du Cheval roux." Et Aragon de préciser: "C'est de cette fin du monde, c'est-à-dire de l'extinction de la vie sur le globe terrestre, que part, comme d'une hypothèse, le roman: et le poème comme un contre-point du roman." C'est surtout dans les passages de caractère autobiographique et de confession que Les Yeux et la mémoire anticipe sur certains thèmes capitaux et aveux personnels qu'Aragon développera deux ans plus tard dans Le Roman inachevé. Le thème de l'avenir, par exemple, sera repris, quatre ans plus tard, dans La Semaine sainte et, en 1963, dans Le Fou d'Elsa; dans ce poème se retrouvera également l'idée que le couple d'amoureux est appelé à servir de modèle à la société future. Pour ces raisons, le poème Les Yeux et la mémoire a le caractère d'une oeuvre de transition : tout en renvoyant au "vieux" Aragon, fortement attaché à des croyances idéologiques, il fait déjà voir le "nouvel" Aragon anti-dogmatique qui défend avec énergie ses propres convictions esthétiques. Dans la présentation de son enregistrement de quelques chants (1954) Aragon écrit (à la troisième personne): "Peu enclin d'habitude aux confidences il [l'auteur] n'en avait peut-être jamais tant laissé passer dans sa poésie qu'il ne le fait avec ce lon poème [environ 3000 vers], le plus long qu'il ait jamais écrit [...] à la première personne de propos délibéré. Et dont le point de départ est dans la vie même de l'auteur des Yeux d'Elsa une rêverie sur un livre d'Elsa Triolet, Le Cheval roux, roman paru à la fin de 1953, où la survie de l'homme est mise en doute en même temps que luit l'espoir, la possibilité de l'immortalité humaine ou du moins d'une vie prolongée à la taille du bonheur et de la paix." Le poème se divise en 15 chants suivis d'environ cinquante pages de notes. Plusieurs chants sont subdivisés en sections séparées typographiquement par un astérisque.
Chant I se compose de 12 septains dont les vers sont des octosyllabes. Chaque septain est précédé d'un distique imprimé en italique (également en octosyllabes). Le premier expose l'intention qu'a le poète de donner une réponse au roman d'Elsa Triolet: "Mon amour à la fin du monde Ah qu'au moins ma voix te réponde" Les 12 strophes de ce premier chant essayent de décrire, à l'aide d'une série d'images, le monde d'après la catastrophe nucléaire, ce monde sans avenir. Bien que le poète se réfère à des photos de Hiroshima qu'il a vues, les images et métaphores qu'il imagine pour exprimer cette fin du globe surprennent, à mon avis, par leur caractère faible, anodin, "construit", "littéraire". Chant II se compose de 14 quatrains (en alexandrins). Deux sujets sont traités: le poète rejette la peur de la mort, étant donné que l'individu survit grâce à "l'autre" qui vient après lui (premier surgissement du thème de l'avenir), et le poète affirme que, malgré tout ce qu'elle renferme d'horrible, la vie est belle et vaut la peine d'être vécue. La seconde partie de ce chant présente un intérêt particulier parce que l'énumération des maux que l'homme a à subir nous fait voir les persécutions et difficultés psychiques auxquelles Aragon lui-même se trouve exposé de la part non seulement de ses adversaires, mais aussi de ses propres camarades. À mon avis, le chant II fait partie des séquences les plus saisissantes et touchantes du livre. C'est un morceau d'anthologie qui dit beaucoup de choses sur le monde intérieur du poète. Chant III comprend 38 quatrains; chaque quatrain se compose de 3 alexandrins et d'un octosyllabe. Entre la 9e et la 10e strophe se trouve intercalée - en allemand dans le texte - une strophe puisée dans un poème du poète allemand Detlev von Liliencron (1844-1909). Ce chant évoque certains événements de la vie d'Aragon: la Première Guerre mondiale, la rencontre avec Elsa Triolet (1928), la Deuxième Guerre mondiale, la réconciliation avec Paul Éluard (1943), la Libération de la France. D'une manière abrupte, Aragon passe à une description détaillée et poétique de l'atmosphère du soir, description qui lui sert de point de départ pour défendre explicitement le droit de chanter la nature, droit contesté par certains esthéticiens marxistes ne voulant admettre, en poésie, que la peinture de l'histoire et des luttes ouvrières. Cette partie du chant met à nu l'esprit borné des dogmatiques de cette époque et la rébellion d'Aragon contre cette sorte de carcan imposé au poète communiste. Chant IV, dont le titre fait allusion à celui d'un recueil de Victor Hugo (Chansons des rues et des bois), se compose de deux sections.
Section 1: Le poète continue à plaider en faveur du droit qu'il a d'aimer et de chanter le paysage. Il se prononce aussi pour le droit de peindre parfois - selon la méthode du "comme si" - un monde heureux. Section 2. Le poète se dresse contre le reproche qu'on pourrait lui faire de donner, avec ses descriptions, dans l'exotisme (lui aussi interdit par les dogmatiques). Il repousse également le reproche qui consiste à épingler l'absence de l'homme dans la peinture du paysage, pour ne rien dire de l'absence du "prolétariat". Le poète s'amuse à faire remarquer que le paysage "exotique" qu'il vient de décrire est situé en URSS (ce qui justifie tout aux yeux des dogmatiques), et que l'absence de l'homme peut être très vite supprimée si, à ce tableau, le lecteur ajoute, en pensée, des figures et des activités humaines. Chant V se compose de 29 quatrains construits de la même manière que la deuxième section du chant IV. Le début du chant est consacré à l'expression de l'admiration que provoque, chez le poète, le ciel étoilé nocturne. Le Je lyrique établit des parallèles entre le ciel étoilé et l'histoire humaine. Il glisse vers un débat avec ceux qu'il appelle ses "frères divisés" par lesquels il faut probablement entendre des intellectuels de gauche non-communistes. Il fait état de quelques-unes des invectives dirigées contre lui ("Chevalier de triste figure", "Déroulède du bonheur", "Tu es là comme un clown à nous parler progrès"), mais souligne ce qui leur est commun avec lui, minimise les différences et songe à une unité future. Dans les ténèbres qui couvrent le monde et le ciel on a pourtant besoin d'une main qui guide l'individu comme le peuple: "Comme un Parti conduit un peuple dans l'histoire". Chant VI se compose de 20 quatrains (en alexandrins). Le poète est d'avis d'avoir parlé suffisamment du "ciel". Jouant avec l'ambiguïté de ce terme ('firmament', 'ciel religieux'), il affirme le vide du "ciel" et s'oppose à ceux qui mettent leur espoir dans l'existence de "dieux". Il croit pourtant à l'existence de "l'enfer" qu'il définit comme "le terrible aujourd'hui"; c'est la condition dans laquelle vit la plupart des êtres humains. Se prononçant contre la recherche d'un refuge exotique, le Je lyrique déclare vouloir partager cet "enfer" avec ceux qui en subissent l'horreur. Chant VII se compose de 27 quatrains (en alexandrins). Le poète médite sur "le peuple". Le peuple, ce sont ici, pour l'essentiel, les travailleurs. Le "peuple" peut avoir, aux yeux d'un observateur, l'air déprimé et résigné, mais, en réalité, il y a une forte agitation dans la tête des gens. Le poète essaie de décrire le monde du travail à l'aide d'exemples choisis. L'usage d'une terminologie chrétienne sert à attribuer au peuple une aura mythique. L'avenir lui appartient. Le peuple a, cependant, besoin d'être guidé par ceux qu'il choisit à cette fin ("Choisis peuple choisis ceux qui vont te conduire"), et c'est le Parti qui assume ce rôle de guide. "Les Conquérants" de l'avenir que sont les travailleurs peuvent donc parler de "Mon Parti". Chant VII fait partie des textes de l'ouvrage où Aragon s'efforce d'étaler des convictions marxistes et d'introduire le réalisme socialiste en poésie. Le résultat est peu convaincant. Chant VIII se compose de 25 quatrains (en alexandrins). La première fois depuis sa rupture avec les surréalistes (1932), Aragon évoque en public et avec sympathie sa jeunesse surréaliste. À mon avis, ces strophes sont parmi les plus saisissantes du volume. Le chant se termine par le récit de la première tentative faite par Aragon d'adhérer au Parti communiste, tentative qui échoue (1920). Chant IX comportant 71 quatrains est le plus long de tout le poème. Les 18 premières strophes ne sont formées que d'alexandrins, celles qui suivent se composent de 3 alexandrins et d'un octosyllabe. Aragon retrace son chemin vers le communisme en le mettant dans une perspective plus large. Il insère sa propre évolution politique dans celle d'une multitude d'hommes qui, venus des horizons les plus divers, se trouvent tous attirés par le communisme avec la violence et la nécessité avec lesquelles la mer attire les fleuves: le mouvement vers le communisme se fait donc avec la nécessité d'une loi naturelle. Suivent des strophes qui, par leur description de la fonction et du rôle du Parti, révèlent d'une manière excellente la position idéologique qui était à cette époque celle d'Aragon. Cette partie du chant se poursuit par des remarques relatives à des problèmes politiques d'actualité et par l'exposition du point de vue officiel du Parti à propos de ces problèmes. Les six dernières strophes du chant comportent un salut que le poète adresse au Parti, salut qui culmine quand, dans les derniers vers, le poète avoue que le Parti est sa "famille nouvelle" et - surprise! - "mon père désormais". Cette fin de chant peut être mise en relation avec le poème "Du poète à son parti" de 1944 (La Diane française): ces deux textes sont ceux où Aragon exprime le plus clairement les liens sentimentaux qui l'attachent au Parti communiste français. Chant X présente une organisation différente de celle des chants précédents. Il est divisé en 5 sections de longueur et de forme de strophe variables.
Section 1. Le poète discute avec lui-même et avec ses critiques éventuels le sens et la légitimité que peut avoir une parole poétique qui chante le Parti avec tant d'enthousiasme rhétorique. Pour ses objectifs, la louange des martyrs de la nation et la célébration de l'espoir communiste, le poète aimerait avoir à sa disposition le "vers de Paul Claudel". Il plaide pour l'emploi d'un langage poétique qui emprunte ses métaphores à la terminologie chrétienne. Il défend ici un point de vue poétologique qu'il avait traduit en pratique dès les années de guerre et auquel il restera fidèle dans les décennies qui viennent. Section 2. Elsa rêve. Le poète observe que ses pensées sont ailleurs pendant qu'elle poursuit ses activités quotidiennes. La raison en est qu'elle est en train d'écrire le roman Le Cheval rous et qu'elle rêve de l'avenir. Section 3. Aspects et possibilités de l'avenir. Section 4. Le poète s'imagine son propre avenir, c'est-à-dire son être-mort dans un futur proche. Dans un langage simple et touchant, il énumère toutes les activités que, mort, il n'effectuera plus, et qu'il n'effectuera plus pour Elsa. Mais il y a une consolation d'importance: la mort apportera l'oubli complet, l'inconscience parfaite; par conséquent, celui qui est mort n'a nul regret de ce qui ne lui est plus possible. Cette section du chant X, d'un caractère très mélancolique, très personnel et pourtant valable pour tous les hommes, forme un des sommets poétiques du poème Les Yeux et la mémoire. Section 5. Contrairement à ce qu'il avait laissé entendre dans la section précédente, le poète refuse de se complaire à ces pensées mélancoliques; il rejette le "vague-à-l'âme" et la peur de la mort. Il met en avant le caractère naturel du mourir en renvoyant au "mûrir et mourir" propre à la nature. Il évoque quelques lieux communs: la bête pleure, mais l'homme seul rit. Ne meurt pas celui qui s'attelle "Au grand rêve de tous" et se met au service de la "nouvelle humanité". Chant XI se compose de 3 sections.
Le titre de ce chant se réfère au jour où quelques pays de l'Amérique centrale, appuyés par les États-Unis, attaquèrent le Guatémala du président Jacobo Arbenz.1 Section 1. Le poète jouit de vacances à Amélie-les-Bains (Pyrénées-Orientales). Description de la belle nature qui l'entoure. Souvenir de Francisco Ferrer (1859-1909), anarchiste espagnol, qui a habité à cet endroit, avec sa compagne Soledad, avant d'être arrêté à Barcelone et fusillé. Évocation de la Catalogne si proche, de l'Espagne si proche, et tout particulièrement de Federico García Lorca (1899-1936), assassiné il y a 18 ans. Le destin de l'Espagne a été pour la France un avertissement et un exemple négatif. À cette époque, l'Espagne, pays interdit au poète, est une prisonnière à laquelle il parle comme à travers une grille. Section 2. Le poète apprend par la radio la nouvelle de l'attaque militaire contre le Guatémala. Dans l'ambiance rurale et paisible où il se trouve, sa première réaction est le désir de n'être pas dérangé par les événements et de pouvoir conserver une certaine indifférence. Section 3. Le poète donne son interprétation des événements gualtématèques et des machinations qui, à son avis, en forment l'arrière-fond; l'exposé est marqué par l'idéologie de la Guerre froide. Chant XII se compose de 29 quintils (en alexandrins). Le point de départ du chant est l'annonce faite qu'un enfant a été tué lors du premier raid aérien sur Guatémala-City. Le poète s'adonne à des méditations sur les chances diverses et multiples qu'un enfant mort prématurément a perdues pour toujours. L'enfant vivant représente l'avenir, aussi que celui du poète. Suivent d'autres réflexions sur les sujets "enfant", "adolescent", "avenir". Chant XIII se compose de 4 sections.
Le Je lyrique se divise en deux hypostases, "l'ombre" et "le mulet" qui ont une discussion entre eux. La section 1 est constituée par un discours qu'adresse l'ombre au mulet. L'ombre se montre très sceptique à l'égard de l'enthousiasme que l'idée de l'avenir suscite chez le poète. Elle compare cet enthousiasme aux feux de la Saint-Jean éteints dès le lendemain. Elle assimile le poète au mulet qui, orné de fleurs le jour de la Saint-Jean, béni et honoré (de sorte qu'il commence à se faire des illusions quant à son avenir), est, le lendemain, la bête de somme ordinaire qu'il avait été auparavant. En outre, le poète partage avec le mulet la ténacité qui, chez le poète, se manifeste dans sa croyance à l'avenir. Les allusions qu'on trouve dans ce chant à des coutumes du Roussillon ("ton décor catalan") s'expliquent par le fait qu'Aragon passa réellement l'été 1954 dans la région d'Amélie-les-Bains. La section 2 est la réponse que le mulet donne à l'ombre. Le Je lyrique confesse être fier de son rôle de mulet, et refuse d'abandonner sa croyance à l'avenir. L'avenir, ce n'est pas pour lui la décadence et le déclin, le "sépulcre" et la "nuit", mais "une découverte" et "une hypothèse bleue à la fin confirmée". Le mulet plaide pour une certaine sobriété quand il s'agit de chanter l'avenir; il n'a pas l'intention de mettre au service de son chant d'avenir les sortilèges verbaux de la grande poésie française du passé. La section 3 contient la riposte de l'ombre. Celle-ci s'élève contre la nouvelle ligne esthétique du mulet considérée comme blasphématoire. L'ombre rappelle au mulet les anciens temps (c'est-à-dire l'époque du surréalisme) où il s'était grisé de la "beauté verbale" de ses propres phrases; or, il n'y a pas lieu de mépriser "la beauté des paroles" au moment où il s'agit de célébrer l'avenir. L'ombre recommande au poète-mulet de faire revivre dans son chant "tous les mots du passé". Suivent des considérations plutôt teintées de scepticisme sur l'avenir: celui-ci détruira les rêves du poète, et rendra incompréhensible son chant aux nouvelles générations. Déjà aujourd'hui, les jeunes gens ne s'intéressent plus aux problèmes de leurs pères et grands-pères. Il leur manque des connaissances élémentaires ("Pour un rien confondant Byzance avec Paris"). Tandis que les changements qui s'effectuaient du début du XIXe au début du XXe siècle s'opéraient avec lenteur, on observe depuis la propre jeunesse d'Aragon qu'un "principe / D'accélération" s'est introduit. L'ombre énumère, avec une certaine nostalgie, de nombreux exemples qui confirment cette idée. Les strophes qui exposent toute une série de cas particuliers allient une grande vivacité stylistique à un humour captivant. - L'homme de l'avenir est le grand inconnu; c'est "En tout pour nous de fond en comble un étranger". De ce qu'elle vient de dire l'ombre tire une conclusion: il faudrait que le mulet se prononce en faveur du passé ("Opte pour ce qui fut car ce qui naît t'ignore") et s'oppose au nouveau. La section 4 assume de nouveau la vision du monde dualiste imposée par la Guerre froide: d'un côté la libération de la Chine par les troupes de Mao et l'alphabétisation d'une partie de la Chine, de l'autre "la peste et la bombe", Malthus et Burnham. Cette section est une des plus faibles de tout l'ouvrage. Chant XIV se compose de 2 sections.
Section 1: C'est avec une grande joie que le poète salue la fin de la guerre française du Viêt-nam (21.07.1954). Il remplace les mots "Arma virumque cano" avec lesquels Virgile commence son Énéide et qu'il avait lui-même pris comme titre de la préface à son recueil Les Yeux d'Elsa (1942) écrit sous l'occupation allemande, par le vers "Je chante l'homme et ses fins pacifiques". Il se met tout de suite à brosser une image positive, voire utopique de l'homme de l'avenir, produit du martyre des patriotes fusillés pendant les années noires et des exploits des grands scientifiques et des grands poètes de la littérature mondiale. Mais ce qui fait la vraie grandeur de l'homme est l'amour mutuel de l'homme et de la femme. Le poète nomme "heureux" les gens futurs qui ressembleront à des amoureux. Section 2: Le poète commence par peindre "l'amour d'autrefois". Avec Saint-Just, l'idée du bonheur entre dans le débat public, mais non pas dans la réalité. Le poète explique, à l'aide de nombreux exemples historiques, l'échec "des amours romantiques". Il leur oppose l'image de l'amour du couple qui se fonde sur l'égalité complète des sexes, sur une communauté spirituelle parfaite et sur les mêmes expériences historiques. Le couple amoureux a vocation de former le modèle de la société future. Ces idées, formulées ici pour la première fois de façon explicite, Aragon les développera neuf ans plus tard dans Le Fou d'Elsa de façon encore plus poétique. La section se termine par des strophes consacrées au rôle des femmes pendant la Deuxième Guerre mondiale et à l'importance qu'elles ont au présent et à l'avenir. Chant XV se compose de 3 sections.
Section 1. La paix est rétablie au Viêt-nam et le poète s'en réjouit. Mais il aurait préféré que déjà l'esprit du Congrès mondial de la Paix qui s'était tenu en décembre 1952 à Vienne eût mis fin à la guerre qui sévissait entre les Français et les Vietnamiens. Ceci aurait épargné beaucoup de victimes aux deux peuples. Le poète évoque la mémoire de la jeunesse sacrifiée. Il pense au bonheur quotidien dont ne jouiront jamais ces garçons morts en Asie. La section se termine par un dialogue entre un soldat mort et le poète qui essaie de le consoler. La section 2 est dédiée à la louange de la paix et de ses heureuses conséquences, bien que la possibilité de nouvelles guerres existe toujours. Comme s'il voulait conjurer ce danger, le poète confère à ces strophes le caractère d'une sorte de litanie, ce à quoi contribuent notamment les énumérations et les anaphores: huit strophes commencent par "Je dis la paix" et quatre strophes par "C'est la paix". La section se termine par le mot d'ordre: "Cessez le feu". La section 3 reprend ce mot d'ordre en le généralisant. Le poète énumère les objets et les domaines les plus divers auxquels doit être appliqué ce "cessez le feu". Il faut que tous ces objets et domaines cessent d'être attaqués, au sens littéral et au sens figuré, et parmi eux l'amour et les oeuvres d'art du sculpteur, du peintre, du poète. Il demande la liberté de la science. Tout est permis à l'homme, à une exception près: "L'homme sauf contre l'homme ayant toute licence".2 Le poète exige finalement qu'on permette une coexistence pacifique entre les deux "chances: "l'humaine et la divine": "Le pari de Pascal et celui de Lénine". Notes 1 "En 1954, le gouvernement progressiste du colonel Arbenz, qui avait entrepris une réforme agraire lésant les intérêts nord-américains, fut renversé avec l'aide de la CIA." (Le Petit Robert. Dictionnaire universel des noms propres). L'offensive fut menée par le colonel Armas, défenseur des intérêts de la société américaine United Fruit. Voir Constructing Enemies: The Illusion of Communism and U.S. Intervention in Guatemala 1944-1954, Howard Zinn: A People's History of the United States covering the period 1945-1960. New York: Harper & Row Publishers, 1980, CIA involved in Guatemala coup, 1954 . Quarante-cinq ans plus tard, en mars 1999, le président Bill Clinton fera, au nom des États-Unis, des excuses officielles au peuple de Guatémala pour cette agression. Le discours du président américain se retrouve sur beaucoup de pages Web, par exemple http://www.theage.com.au/daily/990312/news/news24.html, http://www.washingtonpost.com/wp-srv/inatl/daily/march99/clinton11.htm, http://www.spokane.net/stories/1999/Mar/11/S543310.asp http://abcnews.go.com/sections/world/DailyNews/guatemala990311.html http://quote.yahoo.de/schlagzeilen/110399/politik/921133966-1141735538.html http://www.mojones.com/scoop/scoop10.html http://headlines.yahoo.com/Full_Coverage/World/Guatemala/ http://www.fas.org/irp/news/1999/03/990311-guat2.htm http://www.sunsentinel.com/news/daily/detail/0,1136,11000000000052143,00.html http://www.webcom.com/hrin/magazine/jan97/guatemal.html 2Réminiscence de Maurice Barrès: "Toute licence sauf contre l'amour".
Opinions et jugements de la critique Zurück zur Louis Aragon Homepage Retour à la page d'accueil Zurück zu Aragons mittlerer Schaffensperiode Retour à la deuxième période créatrice Zurück zu Aragons Gesamtwerk Retour à l'index général de l'oeuvre d'Aragon |
Letzte Änderung: Dernière mise à jour: |
14.11.1999 |
Verfasser - Auteur: | Wolfgang Babilas |
E-mail: | babilas@uni-muenster.de |
LOUIS ARAGON ONLINE © 1997-2001 Wolfgang Babilas. All rights reserved. |