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Louis Aragon - Le Roman inachevé
Zitate - Quelques citations
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Aus - Extrait de "La beauté du diable"
Jeunes gens le temps est devant vous comme un cheval échappé Qui le saisit à la crinière entre ses genoux qui le dompte N'entend désormais que le bruit des fers de la bête qu'il monte Trop à ce combat nouveau pour songer au bout de l'équipée [...] Celui qui croit pouvoir mesurer le temps avec les saisons Est un vieillard déjà qui ne sait regarder qu'en arrière On se perd à ces changements comme la roue et la poussière Le feuillage à chaque printemps revient nous cacher l'horizon [...] Enfance Un beau soir vous avez poussé la porte du jardin Du seuil voici que vous suivez le paraphe noir des arondes Vous sentez dans vos bras tout à coup la dimension du monde Et votre propre force et que tout est possible soudain [...]Aus - extrait de "Ce qu'il m'aura fallu de temps pour tout comprendre"
Ce qu'il m'aura fallu de temps pour tout comprendre Je vois souvent mon ignorance en d'autres yeux Je reconnais ma nuit je reconnais ma cendre Ce qu'à la fin j'ai su comment le faire entendre Comment ce que je sais le dire de mon mieux Parce que c'est très beau la jeunesse sans doute Et qu'on en porte en soi tout d'abord le regret Mais le faix de l'erreur et la descente aux soutes C'est aussi la jeunesse à l'étoile des routes Et son lourd héritage et son noir lazaret [...] On se croit libre alors qu'on imite On fait l'homme On veut dans cette énorme et plate singerie Lire on ne sait trop quelle aventure à la gomme Quand bêtement tous les chemins mènent à Rome Quand chacun de nos pas est par avance écrit On va réinventer la vie et ses mystères En leur donnant la métaphore pour pivot On pense jeter bas le monde héréditaire Par le vent d'une phrase ou celui d'un scooter Nouvelles les amours avec des mots nouveaux [...] Regardez ces jeunes gens Qu'est-ce qui les pousse Comme ça vers les bancs de sable les bas-fonds Ils n'avaient après tout de neuf que la frimousse Eux qui faisaient tantôt les farauds ils vont tous Où les songes d'enfance à la fin se défont Bon Dieu regardez-vous petits dans les miroirs Vous avez le cheveu désordre et l'oeil perdu Vous êtes prêts à tout obéir tuer croire Des comme vous le siècle en a plein ses tiroirs On vous solde à la pelle et c'est fort bien vendu Vous êtes de la chair à tout faire Une sorte De matériel courant de brique bon marché Avec vous pas besoin d'y aller de main morte Vous êtes ce manger que les corbeaux emportent Et vos rêves les loups n'en font qu'une bouchée [...] J'ai quelque lassitude Est-ce l'heure est-ce l'âge À faire ce qu'il faut pour être bien compris Car il ne suffit pas de soigner ses images Et de serrer de près le sens dans le langage Il faut compter avec les sourds les ahuris Il faut compter avec ceux-là que tout installe Dans l'idée a priori qu'ils se font de vous J'écris Je suis le boeuf qu'on expose à l'étal Et mon coeur débité d'une poigne brutale Quand il est en morceaux les gens le désavouent Ils pensent que comme eux mesquinement je pense Ce que je dis pour eux je le dis pour l'effet Ils ne peuvent m'imaginer qu'à leur semblance Ils n'ont à me prêter que leur propre indigence Ils en sont prodigieusement satisfaits [...]Aus - Extrait de "Le Téméraire"
[...] Je suis ce Téméraire au soir de la bataille Qui respire peut-être encore sur le pré Mais l'air et les oiseaux voient déjà ses entrailles [...] J'aurai caché toute ma vie en ma poitrine Ce diamant des pleurs que l'on n'imite pas [...]Aus - Extrait de "Marguerite Marie et Madeleine"
Marguerite Marie et Madeleine Il faut bien que les soeurs aillent par trois Aux vitres j'écris quand il fait bien froid Avec un doigt leur nom dans mon haleine [...] La vie et le bal ont passé trop vite La nuit n'a jamais la longueur qu'on veut Et dans le matin défont leurs cheveux Madeleine Marie et MargueriteAus - Extrait de "C'était un temps de solitude"
C'était un temps de solitude O long carême des études Où tout à son signe est réduit Aux constellations la nuit La vie affaire de mémoire De chiffres blancs au tableau noir Et lorsqu'on mourait à Vimy Moi j'apprenais l'anatomie [...] Pardonnez-moi cette amertume Mais l'âge d'aimer quand nous l'eûmes Comme le regain sous la faux Tout y sonnait mortel et faux Et qu'opposer sinon nos songes Au pas triomphant du mensonge Nous qui n'avions pour horizon Qu'hypocrisie et trahison [...]Aus - Extrait de "Parenthèse 56"
[...] Laissez-moi Pourquoi me jetez-vous l'un après l'autre la pierre Pourquoi faut-il toujours discuter tout remettre en question Est-ce que je ne connaîtrai la paix que dans le cimetière Est-ce que vous me poursuivrez jusqu'à ce dernier bastion Est-ce que seul je n'ai pas le droit de m'asseoir dans ma poussière D'écouter mon coeur de laisser ma tête aller aux rêveries Est-ce que seul je n'ai pas le droit d'avoir en moi ma douleur D'être distrait à cause d'elle au milieu du monde proscrit Est-ce que seul il m'est interdit d'oublier la date et l'heure Et de laisser chanter en moi ce vieil orgue de Barbarie [...]Aus - Extrait de "Ah le vers entre mes mains"
[...] Et le pis est qu'à tous les pas je heurte contre ce que j'aime et le pis est que la déchirure passe par ce que j'aime et que c'est dans ce que j'aime que je gémis dans ce que j'aime que je saigne et que c'est dans ce que j'aime qu'on me frappe qu'on me broie qu'on me réduit qu'on m'agenouille qu'on m'humilie qu'on me désarçonne qu'on me prend en traître qu'on fait de moi ce fou ce perdu cette clameur démente et le pis est que chaque mot que chaque cri chaque sanglot comme un écho retourne blesser d'où il sort et cette longue peur que j'ai de lui comme un boomerang inhumain suivez sa courbe en haut de l'air et voyez donc comme il revient le meurtrier par une merveille physique comme il revient frapper d'abord ce que je voulais protéger ce dont j'écartais son tranchant son cheminement assassin ce qui m'est plus cher que ma chair et le dedans de ma pensée ce qui m'est l'être de mon être ma prunelle ma douceur ma joie majeure mon souci tremblant mon haleine mon coeur comme un oiseau tombé du nid ma déraisonnable raison mes yeux ma maison ma lumière ce par quoi je comprends le ciel la feuille l'eau départagés le juste et l'injuste écarté de ses brumes le bien et comme le baiser d'une aube la bonté [...]
Aus - Extrait de "La guerre et ce qui s'en suivit"
[...] Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles Jeune homme dont j'ai vu battre le coeur à nu Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille Qu'un obus a coupé par le travers en deux Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre Et toi le tatoué l'ancien Légionnaire Tu survivras longtemps sans visage sans yeux Roule au loin roule train des dernières lueurs Les soldats assoupis que ta danse secoue Laissent pencher leur front et fléchissent le cou Cela sent le tabac la laine et la sueur [...] Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places Déjà le souvenir de vos amours s'efface Dèjà vous n'êtes plus que pour avoir périAus - Extrait de "Bierstube Magie allemande"
Bierstube Magie allemande Et douces comme un lait d'amandes Mina Linda lèvres gourmandes Qui tant souhaitent d'être crues Dont les voix encore enfantines À fredonner tout bas s'obstinent L'air Ach du lieber Augustin Qu'un passant siffle dans la rue [...] Et moi pour la juger que suis-je Pauvres bonheurs pauvres vertiges Il s'est tant perdu de prodiges Que je ne m'y reconnais plus Rencontres Partances hâtives Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers au loin les suivent Comme des soleils révolus Tout est affaire de décor Changer de lit changer de corps À quoi bon puisque c'est encore Moi qui moi-même me trahis Moi qui me traîne et m'éparpille Et mon ombre se déshabille Dans les bras semblables des filles Où j'ai cru trouver un pays Coeur léger coeur changeant coeur lourd Le temps de rêver est bien court Que faut-il faire de mes jours Que faut-il faire de mes nuits Je n'avais amour ni demeure Nulle part où je vive ou meure Je passais comme la rumeur Je m'endormais comme le bruit [...] Le ciel était gris de nuages Il y volait des oies sauvages Qui criaient la mort au passage Au-dessus des maisons des quais Je les voyais par la fenêtre Leur chant triste entrait dans mon être Et je croyais y reconnaître Du Rainer Maria RilkeAus - Extrait de "Comme il a vite entre les doigts passé"
Comme il a vite entre les doigts passé Le sable de jeunesse Je suis comme un qui n'a fait que danser Surpris que le jour naisse J'ai gaspillé je ne sais trop comment La saison de ma force [...] Et je n'ai jamais été qu'un passant Embourbé dans l'époque [...] Ce que nous étions nous l'avons payé Plus qu'on ne l'imagine Et regardez ceux qui vont foudroyés Sans coeur dans leur poitrine Mais qu'espéraient-ils et qui ne vint pas Quels astres quelles fêtes De qui croyez-vous ces traces de pas Des hommes ou des bêtes Ils s'imaginaient d'autres horizons D'autres airs de musique Et vous vous plaignez vous d'avoir raison Sur leur métaphysique Moi j'ai tout donné que vous sachiez mieux La route qu'il faut prendre Voilà que vous faites la moue aux cieux Et vous couvrez de cendres Moi j'ai tout donné mes illusions Et ma vie et mes hontes Pour vous épargner la dérision De n'être au bout du compte Que ce qu'à la fin nous aurons été À chérir notre mal Le papier jauni des lettres jetées Au grenier dans la malleAus - Extrait de "Les mots m'ont pris par la main"
Je demeurai longtemps derrière un Vittel-menthe [...] Nous étions trois ou quatre au bout du jour assis À marier les sons pour rebâtir les choses Sans cesse procédant à des métamorphoses Et nous faisions surgir d'étranges animaux [...] Les prodiges sont là qui frappent la cloison [...] Garçon de quoi écrireAus - Extrait de "Ici commence la grande nuit des mots"
Ici commence la grande nuit des mots Ici le nom se détache de ce qu'il nomme Ici le reflet décrit de sa fantastique écriture Un monde où le mur n'est mur qu'autant Que la tache de soleil s'y attache Que le miroir lunaire a capté l'homme passant Ici commence la jungle des jongleries Et celui qui parle est dans la persuasion que sa parole Est genèse et le premier jour [...] Ici commence l'enchantement du verbe et la malédiction des poètes Regardez regardez ces enfants qui s'en vont dans la vie avec des sifflets et des cymbales Ils jouent avec le feu ils font les sans-coeur mettent le désordre Ils mêlent tout ils gâchent tout avec délice [...] Voyez voyez ces enfants ridicules et grandioses Perdus dans la forêt des signes perdus Dans l'éblouissement des lumières et le jeu des ombres Perdus perdus dans le labyrinthe inventé La proie d'eux-mêmes d'eux-mêmes minotaures [...] Les mots m'ont pris par la main Où suis-je À quel petit matin d'égarement [...] On suit une idée on s'emballe on ne sait plus ce qu'on dit [...]Aus - Extrait de "J'aurais voulu parler de cela sans image"
[...] Nous qui disions tout haut ce que les autres turent L'outrage pour soleil et pour loi le défi Opposant l'injure à l'injure Et le rêve aux philosophies [...] Malgré tout ce qui vint nous séparer ensemble O mes amis d'alors c'est vous que je revois Et dans ma mémoire qui tremble Vous gardez vos yeux d'autrefois
Nous avons comme un pain partagé notre aurore Ce fut au bout du compte un merveilleux printemps Toutes les raisons tous les torts N'y font rien mes amis d'antan
Il faut bien accepter ce qui nous transfigure Tout orage a son temps toute haine s'éteint Le ciel toujours redevient pur Toute nuit fait place au matin
Même si tout cela nous paraît dérisoire Un avenir naissant nous unit à jamais Où l'on raconte des histoires Pleines de notre mois de maiAus - Extrait de "Le mot 'vie'"
[...] Cette vie avait-elle un sens ou tout est-il contradictoire [...] Cette vie avait-elle un sens ou n'était-elle qu'une danse [...]Aus - Extrait de "Je ne récrirai pas ma vie"
[...] J'allais toujours à ce qui brille à ce qui fait que c'est la fête Je préférais ne prendre rien à prendre une chose imparfaite C'est très joli mais l'existence en attendant ne t'attend pas C'est très joli mais l'existence en attendant te met au pas Ton histoire est celle de tes défaites Avec ça tu sais bien que tu avais l'amour-propre mal placé Tu ne serais pas revenu sur une phrase prononcée Tu t'embarquais dans Dieu sait quoi pour camoufler tes ignorances Tu te faisais couper en quatre pour sauver les apparences Tu haletais comme un gibier forcé Probablement qu'il y a dans toi quelque chose du sauvage Peut-être confusément crains-tu d'être réduit au servage Peut-être étais-tu fait pour guetter seul au travers des roseaux Le flamant rose et lent qu'on voit posément sur les eaux Dans le soir avancer du fond des âges [...] Où donc se sont évanouis tous les gens de ma connaissance La famille il n'y en a plus C'est vrai j'en avais peu le sens Et les amis n'en parlons pas Ce sont chansons d'une saison Pour nous séparer comme un fruit il ne manquait pas de raisons Un amour d'un jour creuse pire absence [...]Aus - Extrait de "Un amour qui commence est le pays d'au-delà le miroir"
Un amour qui commence est le pays d'au-delà le miroir [...] Raconte-moi ton univers raconte-moi ta solitude [...] [...] Chaque mot que tu dis de ton passé me rend triste et jaloux Femme ô femme que ne t'ai-je connue alors petite fille [...]Aus - Extrait de "Malles Chambres d'hôtel Ainsi font ainsi font font font"
[...] Elle n'aimait que ce qui passe et j'étais la couleur du temps [...] Une femme c'est un portrait dont l'univers est le lointain À Paris nous changions de quartier comme on change de chemise De la femme vient la lumière Et le soir comme le matin Autour d'elle tout s'organise Une femme c'est une porte qui s'ouvre sur l'inconnu Une femme cela vous envahit comme chante une source Une femme toujours c'est comme le triomphe des pieds nus L'éclair qu'on rejoint à la course Ah l'ignorant que je faisais Où donc avais-je avant les yeux On quitte tout pour une femme et tout prend une autre envergure Tout s'harmonise avec sa voix La femme c'est le Merveilleux Tout à ses pas se transfigure [...]Aus - Extrait de "Les mots qui ne sont pas d'amour"
Il est inutile de geindre Si l'on acquiert comme il convient Le sentiment de n'être rien Mais j'ai mis longtemps pour l'atteindre On se refuse longuement De n'être rien pour qui l'on aime Pour autrui rien rien par soi-même Ça vous prend on ne sait comment [...] Plus n'importe qu'on vive ou meure Si vivre et mourir n'ont servi [...]Aus - Extrait de "Vieux continent de rumeurs Promontoire hanté"
[...] J'ai voulu connaître mes limites Et ce n'est pas assez de Brocéliande ou Dunsinane De la Forêt-Noire et de l'Océan Car j'ai dans mes veines l'Italie Et dans mon nom le raisin d'Espagne Est-ce que je ne suis pas sorti de ce domaine de cerises Où est ma place Est-elle avec ce passé des miens [...] Cette voix d'hier douce et voilée De Jean-Baptiste Massillon aux Salins-d'Hyères Est-ce que j'appartiens encore à ce monde ancien Où est la clef de tout cela Je vais je viens Faut-il toujours se retourner Toujours regarder en arrière [...]Aus - Extrait de "Après l'amour"
Je me souviens de cette ville Dont les paupières étaient bleues Où jamais les automobiles Ne s'arrêtent que quand il pleut [...] J'arrivais par un soir de fête Les enfants portaient des flambeaux Tous les vieux jouaient les prophètes Tous les jeunes gens semblaient beaux [...] J'avais ma peine et ma valise Et celle qui m'avait blessé Riait-elle encore à Venise Moi j'étais déjà son passé [...] Il existe près des écluses Un bas-quartier de bohémiens Dont la belle jeunesse s'use À démêler le tien du mien En bande on s'y rend en voitures Ordinairement au mois d'août Ils disent la bonne aventure Pour des piments et du vin doux [...] J'ai pris la main d'une éphémère Qui m'a suivi dans ma maison Elle avait les yeux d'outre-mer Elle en montrait la déraison Elle avait la marche légère Et de longues jambes de faon J'aimais déjà les étrangères Quand j'étais un petit enfant Les choses sont simples pour elles Elles touchent ce qu'elles voient Leur miracle m'est naturel Comme descendre à contre-voie [...] Celle-ci parla vite vite De l'odeur des magnolias Sa robe tomba tout de suite Quand ma hâte la délia En ce temps-là j'étais crédule Un mot m'était promission Et je prenais les campanules Pour les Fleurs de la Passion [...] Dans mes bras les belles soient reines L'avenir les couronnera Voici ma nouvelle sirène Toute la mer est dans mes bras À chaque fois tout recommence Toute musique me saisit Et la plus banale romance M'est l'éternelle poésie [...] Nous avions joué de notre âme Un long jour une courte nuit Puis au matin bonsoir Madame L'amour s'achève avec la pluie J'ai vu s'enfuir l'automobile À travers les paupières bleues Car le bonheur dans cette ville N'habite que le temps qu'il pleutAus - Extrait de "Je chante pour passer le temps"
Je chante pour passer le temps Petit qu'il me reste de vivre Comme on dessine sur le givre Comme on se fait le coeur content À lancer cailloux sur l'étang Je chante pour passer le temps [...]Aus - Extrait de "Le vieil homme"
Moi qui n'ai jamais pu me faire à mon visage Que m'importe traîner dans la clarté des cieux Les coutures les traits et les taches de l'âge Mais lire les journaux demande d'autres yeux Commwnt courir avec ce coeur qui bat trop vite Que s'est-il donc passé La vie et je suis vieux [...]Aus - Extrait de "L'amour qui n'est pas un mot"
[...] Suffit-il donc que tu paraisses De l'air que te fait rattachant Tes cheveux ce geste touchant Que je renaisse et reconnaisse Un monde habité par le chant Elsa mon amour ma jeunesse [...] C'est miracle que d'être ensemble Que la lumière sur ta joue Qu'autour de toi le vent se joue Toujours si je te vois je tremble Comme à son premier rendez-vous Un jeune homme qui me ressemble [...] Prends ce fruit lourd et palpitant Jette-z-en la moitié véreuse Tu peux mordre la part heureuse Trente ans perdus et puis trente ans Au moins que ta morsure creuse C'est ma vie et je te la tends Ma vie en vérité commence Le jour que je t'ai rencontrée Toi dont les bras ont su barrer Sa route atroce à ma démence Et qui m'as montré la contrée Que la bonté seule ensemence Tu vins au cowue du désarroi Pour chasser les mauvaises fièvres Et j'ai flambé comme un genièvre À la Noël entre tes doigts Je suis né vraiment de ta lèvre Ma vie est à partir de toiAus - Extrait de "Je traîne après moi trop d'échecs et de mécomptes"
Je traîne après moi trop d'échecs et de mécomptes J'ai la méchanceté d'un homme qui se noie Toute l'amertume de la mer me remonte Il me faut me prouver toujours je ne sais quoi Et tant pis qui j'écrase et tant pis qui je broie Il me faut prendre ma revanche sur la honte Ne puis-je donner de la douleur Tourmenter N'ai-je pas à mon tour le droit d'être féroce N'ai-je pas à mon tour droit à la cruauté Ah faire un mal pareil aux brisures de l'os Ne puis-je avoir sur autrui ce pouvoir atroce N'ai-je pas assez souffert assez sangloté Je suis le prisonnier des choses interdites Le fait qu'elles le soient me jette à leur marais Toute ma liberté quand je vois ses limites Tient à ce pas de plus qui la démontrerait Et c'est comme à la guerre il faut que je sois prêt D'aller où le défi de l'ennemi m'invite Toute idée a besoin pour moi d'un contrepied Je ne puis supporter les vérités admises Je remets l'évidence elle-même en chantier Je refuse midi quand il sonne à l'église Et si j'entends en lui des paroles apprises Je déchire mon coeur de mes mains sans pitié Je ne sais plus dormir lorsque les autres dorment Et tout ce que je pense est dans mon insomnie Une ombre gigantesque au mur où se déforme Le monde tel qu'il est que follement je nie Mes rêves éveillés semblent des Saint Denis Qui la tête à la main marchent contre la norme Inexorablement je porte mon passé Ce que je fus demeure à jamais mon partage C'est comme si les mots pensés ou prononcés Exerçaient pour toujours un pouvoir de chantage Qui leur donne sur moi ce terrible avantage Que je ne puisse pas de la main les chasser Cette cage des mots il faudra que j'en sorte Et j'ai le coeur en sang d'en chercher la sortie Ce monde blanc et noir où donc en est la porte Je brûle à ses barreaux mes doigts comme aux orties Je bats avec mes poings ces murs qui m'ont menti Des mots des mots autour de ma jeunesse morte"Il n'aurait fallu"
Il n'aurait fallu Qu'un moment de plus Pour que la mort vienne Mais une main nue Alors est venue Qui a pris la mienne Qui donc a rendu Leurs couleurs perdues Aux jours aux semaines Sa réalité À l'immense été Des choses humaines Moi qui frémissais Toujours je ne sais De quelle colère Deux bras ont suffi Pour faire à ma vie Un grand collier d'air Rien qu'un mouvement Ce geste en dormant Léger qui me frôle Un souffle posé Moins Une rosée Contre mon épaule Un front qui s'appuie À moi dans la nuit Deux grands yeux ouverts Et tout m'a semblé Comme un champ de blé Dans cet univers Un tendre jardin Dans l'herbe où soudain La verveine pousse Et mon coeur défunt Renaît au parfum Qui fait l'ombre douceAus - Extrait de "Et la vie a passé le temps d'un éclair au ciel sillonné"
[...] Il me semble qu'il n'y a eu dans toutes les circonstances Rien d'autre que mon amour sur tout comme un grand tilleul ombreux [...] Je n'ai rien fait que par toi que pour toi pour l'amour de toi [...] Tu m'as retiré de la chair le désespoir comme une épine Tu m'as donné le goût nouveau d'un langage de plein midi Tu seras présente à tout jamais dans tout ce que j'aurai dit Tu m'as changé le coeur tu me l'as façonné dans la poitrine [...] Et j'ai quitté mes compagnons comme on déchire son poème Comment aurais-je pu sans toi rompre les liens de ma folie On me dira qu'il n'y a pas de miracle dans ce domaine Et que ceux-là vers qui j'allais avaient d'autres chats à fouetter Et qu'ils me regardaient du haut de leur supériorité Oui j'ai pleuré mais dans tes bras cette indifférence inhumaine [...]Aus - Extrait de "Cette vie à nous"
À Guendrikov pereoulok nous étions tous ensemble assis [...] J'ai connu les entassements entre des murs jamais repeints J'ai connu les appartements qu'on partage comme une faim Comme un quignon de pain trouvé l'angine atroce des couloirs Les punaises les paravents les cris et les mauvais vouloirs J'ai connu le manque de tout qui dure depuis des années Quand une épingle est un trésor Et les enfants abandonnés Et tous les soirs dans les tramways ces noires grappes de fatigue Aux marchepieds où les fureurs et la brutalité se liguent Et les souliers percés l'hiver dans une ancienne odeur de choux Et les bassesses qu'on ferait pour s'acheter des caoutchoucs Pourtant c'est dans ces heures-là cette crudité d'éclairage Je ne m'explique aucunement comment s'est produit ce mirage Que j'ai pour la première fois senti sur moi des yeux humains Frémi des mots que prononçaient des inconnus sur mon chemin Tout comme si j'avais reçu la révélation physique Du sourd à qui l'on apprend un jour ce que c'est que la musique Du muet à qui l'on apprend un jour ce que c'est que l'écho [...] Comment trouver les mots pour exprimer cette chose poignante Ce sentiment en moi dans la chair ancré qu'il pleuve ou qu'il vente Que tout ce que je fais tout ce que je dis tout ce que je suis Même de l'autre bout du monde aide ce peuple ou bien lui nuit Et nuit à mon peuple avec lui Crains ah crains jusque dans tes rêves Quand l'outil pèse qu'on soulève d'agir comme un briseur de grève [...]Aus - Extrait de "Les pages lacérées"
Que cette interminable nuit paraît à mon coeur longue et brève [...] Notre destin ressemble-t-il à la guerre d'Éthiopie On ne croit jamais dans l'abord que ce soit la peste qui gagne Cependant rien ne se conquiert sans que se déchire une Espagne Et l'on ne meurt que lentement des blessures de l'utopie [...] On dit ce que l'on veut en vers l'amour la mort mais pas la honteAus - Extrait de "Et le roman s'achève de lui-même"
Et le roman s'achève de lui-même J'ai déchiré ma vie et mon poème Plus tard plus tard on dira qui je fus J'ai déchiré des pages et des pages Dans le miroir j'ai brisé mon visage Le grand soleil ne me reconnaît plus J'ai déchiré mon livre et ma mémoire Il y avait dedans trop d'heures noires Déchiré l'azur pour chasser les nues Déchiré mon chant pour masquer les larmes Dissipé le bruit que faisaient les armes Souri dans la pluie après qu'il a plu Déchiré mon coeur déchiré mes rêves Que de leurs débris une aube se lève Qui n'ai jamais vu ce que moi j'ai vu"Strophes pour se souvenir" ("L'Affiche rouge")
[Léo Ferré machte aus diesem Gedicht ein Chanson, dem er den Titel "L'Affiche rouge" gab.
Ce poème a été mis en chanson par Léo Ferré qui lui donna le titre "L'Affiche rouge"]
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes Ni l'orgue ni la prière aux agonisants Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vous vous étiez servi simplement de vos armes La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants L'affiche qui semblait une tache de sang Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles Y cherchait un effet de peur sur les passants Nul ne semblait vous voir Français de préférence Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE Et les mornes matins en étaient différents Tout avait la couleur uniforme du givre À la fin février pour vos derniers moments Et c'est alors que l'un de vous dit calmement Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Adieu la vie adieu la lumière et le vent Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses Quand tout sera fini plus tard en Erivan Un grand soleil d'hiver éclaire la colline Que la nature est belle et que le coeur me fend La justice viendra sur nos pas triomphants Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir Vingt et trois qui criaient la France en s'abattantAus - Extrait de "La nuit de Moscou"
[...] Ici j'ai tant rêvé marchant de l'avenir Qu'il me semblait parfois de lui me souvenir Et ma fièvre prenait dans mes mains sa main nue Il chantait avec moi les mêmes chansons folles Je sentais son haleine et déjà nos paroles Traduisaient sans effort les choses inconnues [...] Que j'ai finalement au fond de ma rétine Confondu ce qui vient et ce que j'imagine Sans savoir que tout songe est le deuil d'aujourdhui Que l'homme voit la flamme et ne peut pas la dire Et s'il ne se perd plus où nos yeux se perdirent Plus tard par d'autres feux ses yeux seront séduits L'histoire entre nos doigts file à telle vitesse Que devant ce qui fut demain dira Qu'était-ce Oublieux des refrains où notre coeur s'est plu Comment s'habituer à ce qui nous dépasse Nous avons appelé notre cage l'espace Mais déjà ses barreaux ne nous contiennent plus [...] Dans ce siècle où la guerre atteignait au solstice Les hommes plus profonde et noire l'injustice Vers l'étoile tournaient leurs yeux d'étonnement Et j'étais parmi eux partageant leur colère Croyant l'aube prochaine à toute ombre plus claire À tout pas dans la nuit croyant au dénouement Étoile on oubliait les douleurs et la crainte Le minotaure à ce détour du labyrinthe Étoile comme une eau dans notre aridité Toi qu'on pouvait toucher en montant la colline Étoile si lointaine étoile si voisine Étoile sur la terre étoile à ma portée Je mettais son contraire au lieu de toute chose J'imaginais la vie et ses métamorphoses Comme une féerie énorme et machinée C'était un jardin bleu tintant comme un cristal Où les pieds fabuleux marchaient sur des pétales Et cependant les fleurs jamais n'étaient fanées J'attendais un bonheur aussi grand que la mer Et de l'aube au couchant couleur de la chimère Un amour arraché de ses chaînes impies Mais la réalité l'entend d'une autre oreille Et c'est à sa façon qu'elle fait ses merveilles Tant pis pour les rêveurs tant pis pour l'utopie Le printemps s'il fleurit et l'homme enfin s'il change Est-ce opération des elfes ou des anges Ou lignes de la main pour les chiromancies On sourira de nous comme de faux prophètes Qui prirent l'horizon pour une immense fête Sans voir les clous perçant les paumes du Messie On sourira de nous pour le meilleur de l'âme On sourira de nous d'avoir aimé la flamme Au point d'en devenir nous-mêmes l'aliment Et comme il est facile après coup de conclure Contre la main brûlée en voyant sa brûlure On sourira de nous pour notre dévouement Quoi je me suis trompé cent mille fois de route Vous chantez les vertus négatives du doute Vous vantez les chemins que la prudence suit Eh bien j'ai donc perdu ma vie et mes chaussures Je suis dans le fossé je compte mes blessures Je n'arriverai pas jusqu'au bout de la nuit Qu'importe si la nuit à la fin se déchire Et si l'aube en surgit qui la verra blanchir Au plus noir du malheur j'entends le coq chanter Je porte la victoire au coeur de mon désastre Auriez-vous crevé les yeux de tous les astres Je porte le soleil dans mon obscuritéAus - Extrait de "Prose du bonheur et d'Elsa"
[...] L'amour que j'ai de toi garde son droit d'aînesse Sur toute autre raison par quoi vivre est basé C'est par toi que mes jours des ténèbres renaissent C'est par toi que je vis Elsa de ma jeunesse Ô saisons de mon coeur ô lueurs épousées Elsa ma soif et ma rosée [...] Que serais-je sans toi qu'un homme à la dérive [...] J'étais celui qui sait seulement être contre Celui qui sur le noir parie à tout moment Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre Que cette heure arrêtée au cadran de la montre Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant Que serais-je sans toi que ce balbutiement ]...] Je te dois tout je ne suis rien que ta poussière Chaque mot de mon chant c'est de toi qu'il venait [...] J'ai tout appris de toi sur les choses humaines Et j'ai vu désormais le monde à ta façon [...] Le bonheur existe et j'y crois [...]
Le choix de Florence Saillen
Celui qui croit pouvoir mesurer le temps avec les saisons
Est un vieillard déjà qui ne sait regarder qu'en arrière - p.18Ce qu'il m'aura fallu de temps pour tout comprendre
Je vois souvent mon ignorance en d'autres yeux - p.21On se croit libre alors qu'on imite -p.22
Et le pis est qu'à tous les pas je heurte contre ce que j'aime - p.58
Comme il a vite entre les doigts passé
Le sable de la jeunesse
Je suis comme un qui n'a fait que danser
Surpris que le jour naisse - p. 77Les mots m'ont pris par la main - p.85
Il faut bien accepter ce qui nous transfigure
Tout orage a son temps toute haine s'éteint
Le ciel toujours redevient pur
Toute nuit fait place au matin - p.87Je préférais ne prendre rien à prendre une chose imparfaite - p.96
Une femme c'est une porte qui s'ouvre sur l'inconnu - p.105
Il est inutile de geindre
Si l'on acquiert comme il convient
Le sentiment de n'être rien
Mais j'ai mis longtemps pour l'atteindre - p.112Toute idée a besoin pour moi d'un contrepied
Je ne puis supporter les vérités admises - p.177Le poème a comme la vie un caractère d'insomnie - p.199
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Letzte Änderung - Dernière mise à jour: 08.11.2004
Les citations destinées à illustrer mon commentaire, à mettre le lecteur "au parfum" et à l'inciter à la lecture de l'ouvrage entier sont faites selon le principe du "fair use". Elles ne prétendent en aucune manière rendre compte de tous les aspects de l'oeuvre.
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