Pour mes amis morts en Mai Et pour eux seuls désormais Que mes rimes aient le charme Qu'ont les larmes sur les armes Et que pour tous les vivants Qui changent avec le vent S'y aiguise au nom des morts L'arme blanche du remords Mots mariés mots meurtris Rimes où le crime crie Elles font au fond du drame Le double bruit d'eau des rames Banales comme la pluie Comme une vitre qui luit Comme un miroir au passage La fleur qui meurt au corsage L'enfant qui joue au cerceau La lune dans le ruisseau Le vétiver dans l'armoire Un parfum dans la mémoire Rimes rimes où je sens La rouge chaleur du sang Rappelez-nous que nous sommes Féroces comme des hommes Et quand notre coeur faiblit Réveillez-nous de l'oubli Rallumez la lampe éteinte Que les verres vides tintent Je chante toujours parmi Les morts en Mai mes amis
Aus - Extrait de "Le paysan de Paris chante"
I Comme on laisse à l'enfant pour qu'il reste tranquille Des objets sans valeur traînant sur le parquet Peut-être devinant quel alcool me manquait Le hasard m'a jeté des photos de ma ville Les arbres de Paris ses boulevards ses quais [...] Paris rêve et jamais il n'est plus redoutable Plus orageux jamais que muet mais rêvant De ce rêve des ponts sous leurs arches de vent De ce rêve aux yeux blancs qu'on voit aux dieux des fables De ce rêve mouvant dans les yeux des vivants [...] Qui n'a pas vu le jour se lever sur la Seine Ignore ce que c'est que ce déchirement Quand prise sur le fait la nuit qui se dément Se défend se défait les yeux rouges obscène Et Notre-Dame sort des eaux comme un aimant [...] Toute aube est pour quelqu'un la peine capitale À vivre condamné que le sommeil trompa Et la réalité trace avec son compas Ce triste trait de craie à l'orient des Halles Les contes ténébreux ne le dépassent pas Paris s'éveille et moi pour retrouver ces mythes Qui nous brûlaient le sang dans notre obscurité Je mettrai dans mes mains mon visage irrité Que renaisse le chant que les oiseaux imitent Et qui répond Paris quand on dit liberté II C'est un pont que je vois si je clos mes paupières La Seine y tourne avec ses tragiques totons O noyés dans ses bras noueux comment dort-on C'est un pont qui s'en va dans ses loges de pierre Des repos arrondis en forment les festons Un roi de bronze noir à cheval le surmonte Et l'île qu'il franchit a double floraison Pour verdure un jardin pour roses des maisons On dirait un bateau sur son ancre de fonte Que font trembler les voitures de livraison L'aorte du Pont Neuf frémit comme un orchestre Où j'entends préluder le vin de mes vingt ans Il souffle un vent ici qui vient des temps d'antan Mourir dans les cheveux de la statue équestre La ville comme un coeur s'y ouvre à deux battants Sachant qu'il faut périr les garçons de mon âge Mirage se leurraient d'une ville au ciel gris Nous derniers nés d'un siècle et ses derniers conscrits Les pieds pris dans la boue et la tête aux nuages Nous attendions l'heure H en parlant de Paris Quand la chanson disait Tu reverras Paname Ceux qu'un oeillet de sang allait fleurir tantôt Quelque part devant Saint-Mihiel ou Neufchâteau Entourant le chanteur comme des mains la flamme Sentaient frémir en eux la pointe du couteau Depuis lors j'ai toujours trouvé dans ce que j'aime Un reflet de ma ville une ombre dans ses rues Monuments oubliés passages disparus J'ai plus écrit de toi Paris que de moi-même Et plus qu'en mon soleil en toi Paris j'ai cru [...[ La mort est un miroir la mort a ses phalènes Ma vie à ses deux bouts le même feu s'est mis Pour la seconde fois le monstre m'a vomi Je suis comme Jonas sortant de la baleine Mais j'ai perdu mon ciel ma ville et mes amis III [...] C'est Paris ce théâtre d'ombres que je porte Mon Paris qu'on ne peut tout à fait m'avoir pris Pas plus qu'on ne peut prendre à des lèvres leur cri Que n'aura-t-il fallu pour m'en mettre à la porte Arrachez-moi le coeur vous y verrez Paris C'est de ce Paris-là que j'ai fait mes poèmes Mes mots sont la couleur étrange de ces toits La gorge des pigeons y roucoule et chatoie J'ai plus écrit de toi Paris que de moi-même Et plus que de vieillir souffert d'être sans toi [...] Une chanson qui dit un mal inguérissable Plus triste qu'à minuit la Place d'Italie Pareille au Point-du-Jour pour la mélancolie Plus de rêves aux doigts que le marchand de sable Annonçant le plaisir comme un marchand d'oublies Une chanson vulgaire et douce où la voix baisse Comme un amour d'un soir doutant du lendemain Une chanson qui prend les femmes par la main Une chanson qu'on dit sous le métro Barbès Et qui change à l'Étoile et descend à Jasmin Le vent murmurera mes vers aux terrains vagues Il frôlera les bancs où nul ne s'est assis On l'entendra pleurer sur le quai de Passy Et les ponts répétant la promesse des bagues S'en iront fiancés aux rimes que voici [...]
Aus - Extrait de "Absent de Paris"
I [...] II [...] L'éternité renaît aux yeux agonisants Les arbres foudroyés qui peut en dire l'âge Qui peut dire la date atroce de l'orage Sur la fosse commune il n'est pas de gisants La mort et non l'amour est l'unique domaine Où l'homme se démasque et se découvre enfin Les traits décomposés d'un enfant qui a faim La mort et non l'amour nous rend la face humaine Regarde-toi mon frère anonyme et sanglant La mort et non l'amour soit notre Véronique Son linge gardera notre image panique À ce portrait divin nous voici ressemblants Les beaux invariants des passions vulgaires Marquent notre visage à l'instant du trépas Regarde-toi mon frère et ne sanglote pas C'est toi pourtant c'est toi qui péris à la guerre [...] III [...] On voudrait que la vie ait la douceur d'un chant La douceur d'un amour la douceur d'un visage Ou la blancheur au moins que font au paysage Les tribunes du champ de courses de Longchamp La vie Elle aura pris des routes singulières On dirait une noce avec des mirlitons Mais le cocher se penche et demande Où va-t-on Qui répondrait Chacun songe à sa cavalière La vie est après tout une longue agonie Qu'importe qu'on rumine aux ruelles du sort L'essentiel c'est qu'au bout du compte on s'endort Lorsque le jour déjà jaunit Gethsémani Si tu pleures Jésus est-ce de ton calvaire Ne sais-tu pas que comme toi tous nous mourrons La passion la pire est celle des larrons Jamais ressuscités à ce triste univers Au pays du soupir peut-être songeais-tu À ceux qui sans pleurer ont connu la torture Et qui n'ont pas mêlé le ciel à l'aventure Qui n'auront ni vitrail ni palme ni statue Les morts qu'on ne distingue pas des autres gens Des morts de tous les jours dont nul ne sait le nom Ceux qui sont morts un jour d'avoir répondu non Les morts qu'on ne fait pas entrer dans la légende Au pays du soupir où parmi les buissons À la fin fatigués s'endormaient les Apôtres Qui ne furent que des hommes comme les autres Et vous savez mon Dieu ce que les autres sont IV [...] Je te ressemble ô Roi qui perdis la raison Je suis le pain rompu dont ta vie est la Cène Tu gardes dans tes yeux les couleurs de la Seine Tu peux fuir Je serai toujours ton horizon Je berce ta folie et je suis ta défense O monarque dément qu'on a dépossédé Qu'importe d'avoir brisé le fil de tes idées Si tu portes en toi le ciel de ton enfance V Mais il n'est pas le mien ce ciel et pas le mien Ce pays d'oliviers qui fleure les fenouils Où ce n'est pas un dieu l'homme qui s'agenouille Et tu n'es pas mon Dieu Dieu jérusalémien Tout ce bleu me paraît un beau temps de louage Et ma mélancolie est celle du marin Sur un coup de cafard qui voit avec chagrin Son corps à tout jamais couvert de tatouages O cactus de l'exil Parfum des orangers Pour un peu de vin blanc je donnerais ces palmes Ce soleil sans pardon cette mer toujours calme Où le nuage et moi nous sentons étrangers Les fleurs offrent aux yeux leur débauche adorable Les amours odorants des oeillets se marient À la rue où respire un air de griserie Nulle part je n'éprouve être autant misérable [...] Pourquoi me souvient-il avec mélancolie À cet instant du monde et de ma propre histoire D'un vers de Dante au chant treize du Purgatoire Une âme qui vécut aubaine en Italie[aubain, aubaine: "Individu fixé dans un pays étranger sans être naturalisé". - Aragon se réfère au Purgatoire, XIII, vers 94-96]
Comme cette âme-là nous vivons dans l'exil D'un paradis terrestre auquel secrètement Nous préférons l'enfer Paris et ses tourments Grand merci pour l'aubaine et l'azur et l'asile[aubaine: "Avantage ou profit inattendu, chance inespérée"]
[...] Chassez l'Anglais de France et rouez les bourreaux Rendez-moi mon Paris le Louvre et les Tournelles [...] [...] [...] La liberté Paris vaut plus qu'une chanson [...] VI Poésie ô danger des mots à la dérive [...] [...] On demande l'espoir du côté de Vincennes Et je veux que l'espoir ait l'accent du midi Les chants désespérés Niez ce qu'on en dit N'ont que faire aujourd'hui sur les bords de la Seine[Allusion au vers "Les plus désespérés sont les chants les plus beaux" d'Alfred de Musset, "La Nuit de mai"]
Ceux qui portent des fleurs ont de la France aux bras Et mettent du soleil dans notre nuit frugale Non Sous les oliviers où chantent les cigales Je ne veux pas pleurer comme Jésus pleura Je ne veux plus pleurer car pleurer nous désarme Et c'est bon pour un Dieu de plier le genou De Provence ou d'Artois les hommes de chez nous Sachant vivre debout savent mourir sans larmes Comme les fleurs de Nice et les rimes choisies Si du Nord au Midi notre coeur en forme une Que tout serve à chanter notre chanson commune Et Paris mon Paris soit notre poésieAus - Extrait de "Nymphée
[...] Affreuse nudité de l'homme dans l'orage La catastrophe arrive alors qu'il somnolait Ou que sans se presser il rentrait le fourrage Et sur le feu la femme oublie alors le lait Lorsqu'un peuple s'enfuit devant l'envahisseur Il laisse sur ses pas les ruines de sa vie Une salle de bal à l'aube sans danseurs La table du repas qu'on n'a pas desservie [...] Rien ne peut altérer la chanson que je chante Même si quelqu'un d'autre avait à la chanter Une plainte étranglée en renaît plus touchante Quand l'écho la reprend avec fidélité Le crime de rêver je consens qu'on l'instaure Si je rêve c'est bien de ce qu'on m'interdit Je plaiderai coupable Il me plaît d'avoir tort Aux yeux de la raison le rêve est un bandit Je parle avec les mots des jours patibulaires Où le maître bâtit le temple qu'il lui plaît Et baptise raison dans son vocabulaire Le loisir d'à nos poings passer cabriolet Il faudrait rendre sens aux mots blasphématoires Refaire un coeur saignant à ceux qui n'en ont plus Ceux qui ne pleurent pas pour une belle histoire Méritent-ils le ciel qui leur est dévolu [...]
Aus - Extrait de "Le temps des cerises"
[...] [...] Tu m'as donné ta vie en me donnant la vie [...]
Aus - Extrait de "Langage des statues""
[...] Il fallait qu'une voix s'élevât qui fût forte Assez pour que d'un siècle encore on l'entendît Hurler Ce n'est pas vrai La France n'est pas morte Que votre corbillard Croque-morts vous emporte Et dimanche rira qui maudit vendredi Qui donc ô jeunes gens criera dans la défaite Debout sur les remparts en képi de moblot Qui saura comme moi puisque vous ne le faites Détourner le tonnerre et jeter aux tempêtes Le cantique d'espoir qui répond aux sanglots [...]
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Letzte Änderung - Dernière mise à jour: 06.06.1999