Was ist neu in dieser Ausgabe? - Quoi de neuf dans cette édition? | Das Werk - L'oeuvre | Biographie | Bibliographie | Informations | Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet | Forum | Des critiques sur Aragon | Fragen und Antworten - Questions et réponses | Der Autor dieser Site - L'auteur de ce site |

Louis Aragon - Le Libertinage

Zitate - Quelques citations


Zitate - Quelques citations

Aus - Extrait de: "Préface" à l'édition de 1924

Tout ce que me dictait une passion ou l'autre, on en faisait une boutade, une façon de parler. En France tout finit par des fleurs de rhétorique. On choisissait en moi le moins insolite, et j'allais plaire à ceux-là mêmes qui n'auraient pu parler cinq minutes avec moi sans colère. Il y a au monde des inconscients qu'agite la douce manie de la conciliation: faiseurs d'anthologies, habiles à laisser dans l'ombre les tares sociales et physiques. Ils savent trouver patte blanche au loup. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 264)

Il paraît que je suis, tout le monde l'assure, la séduction en personne. C'est bien possible. Je n'ai jamais rien fait pour cela. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 264)

Pas un geste, pas un cillement qui ne m'engage à fond, qui ne fasse dévier ma vie. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 264)

L'obsession de l'amour, après le scepticisme, le reproche portait. Je ne fais pas difficulté à le reconnaître: je ne pense à rien, si ce n'est à l'amour. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 265)

Il n'y a pour moi pas une idée que l'amour n'éclipse. Tout ce qui s'oppose à l'amour sera anéanti s'il ne tient qu'à moi. C'est ce que j'exprime grossièrement quand je me prétend anarchiste. C'est ce qui me portera aux pires exaltations, chaque fois que je sentirai l'idée de liberté un seul instant en jeu. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 265)

L'amour m'intéresse plus que la musique. Ce n'est pas assez dire: en un mot, tout le reste n'est que feuille morte. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 266)

J'étais en train de parler de l'inutilité de la poésie: il ne faut rien exagérer.Il y a toujours en elle, quand elle est de bonne qualité, cette forte faculté de crétiniser qui fait son charme, celui de la musique, des jeux de hasard, de la vie. Mais la meilleure machine à abêtir est l'amour comme on peut le remarquer sans peine. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 267)

J'entends que j'aime surtout cette activité mentale, de sang-froid indéfendable, par laquelle les amants se forcent à tout admirer, à rire des mêmes choses, à s'approuver mutuellement hors de toute nécessité et même vraisemblance. Ce qui vient de la femme, je le trouve a priori charmant, et je dis se forcent par impropriété de terme: c'est tout naturel, l'esprit critique n'a pas de part ici. Il n'y a rien d'héroïque au cas de ce Joyeuse qui portait sur soi des excréments de sa maîtresse dans un petit sac. Nous en faisons tous autant. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, pp. 267-268)

J'ai déjà dit que je ne crois pas à l'expérience des autres. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 268)

Les difformités ont si peu d'importance que j'en arrive à me demander par quel avatar un type à peu près général de beauté physique a pu se constituer progressivement dans un pays donné. On sait d'un roi d'Espagne dont la première femme était rousse qu'il trouvait que la seconde, brune, n'était point femme. Nos jugements sur la beauté ont toujours ce caractère universel et impersonnel. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 269)

L'esprit de la Révolution française, voilà ce qu'on poursuit aujourd'hui, ce qu'on traque partout. J'en suis fâché: je n'avais point posé le problème sur un terrain pareil. Mais on le fait pour moi, et j'opte: je suis irréductiblement un homme de gauche, et si cette expression vous prête à rire, vous n'êtes qu'un pître. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 271)

Mais à tout prendre voilà le plus grand grief qu'on nous fasse, nous sommes des messianiques. Soit. À l'idée traditionnelle de la beauté et du bien, nous opposerons la nôtre, si infernale qu'elle paraisse. Des messianiques et des révolutionnaires, j'y consens. Vous êtes bien, vous autres, des traditionnalistes et des chrétiens, par exemple. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 272)

Dans tous les pays du monde l'enfantillage est maître et l'on nomme scandale l'infraction publique aux lois qu'il a forgées. Les religions n'ont presque rien en pareille détestation que le scandale. Il a été longtemps mortel à coup sûr, aujourd'hui encore il l'est parfois et toujours au moins puni. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 273)

Le scandale pour le scandale (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, pp. 272, 275)

Je n'ai jamais cherché autre chose que le scandale et je l'ai cherché pour lui-même. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 274)

La littérature, la poésie, l'art si je les défends un peu contre Dada, vieux monstre légendaire, ce n'est pas par culte de ces saint-sulpiceries délirantes - mais je ne vois pas de raison d'abandonner un moyen commode de provoquer le scandale, ma pâture. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 274)

La parole n'a pas été donnée à l'homme: il l'a prise. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 276)

Écrire rappelle les détournements de mineurs: il n'y a pas une idée qui soit à maturité au moment qu'on la fixe. Par le signe magique de l'encre, je limite ma pensée dans ses conséquences. [...] Circonscrire l'infini, voilà l'absurde propos de l'homme, et pourquoi il ne s'en tient plus aux gestes purs de la séduction. [...] Quelqu'un va-t-il prendre enfin la défense de l'infini? (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 276)

Aucune aventure littéraire n'est définitive, aucun littérateur ne pourra jamais rendre quelque chose impossible. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 277)

Y a-t-il une idée qui vaille qu'on s'y arrête? (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 277)

Je voudrais que tout ce qui me passe par la tête y durât si peu, que moi-même je ne retrouve jamais la mémoire de ma pensée. Que toute démarche de mon esprit soit un pas, et non une trace. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 278)

Rien, ni mes idées surtout, ne me permet de préjuger de mes actions lointaines. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 279)

L'avenir aujourd'hui m'est plus obscur que jamais. Je ne songe point à l'accorder à mon passé, je ne songe qu'à cette minute qui me brûle. Je sais à tout instant ce qui meurt, et je ne crois pas que quelque chose un jour renaisse. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 279)

Je ne serai pour personne une excuse, pour personne un exemple. Si j'ai laissé derrière moi quelques tertres sans croix, ce n'est pas le respect de mes idées mortes qui m'y aura incité. J'ai répugné simplement à ce geste des chiens, qui couvrent de sable leurs déjections. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 279)

Il n'y a pas un mot péjoratif dans mon vocabulaire. Un mot ne constitue pas un jugement. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 280)

Il faut comprendre qu'ainsi jamais un mot pour moi ne fait tableau à lui tout seul, mais lié à une multitude de pensées, de sons informes, de calembours, de cris, d'images, d'animaux, de caresses, de magasins, de journaux illustrés, tout un capharnaüm sensible, duquel je refuse de faire une seule fois abstraction. Ainsi les bords d'un mot s'estompent, et l'idée même de la clarté telle qu'on l'entend en France, avec un petit air de contentement national, devient pour qui en use, d'une obscurité sans pareille. Cette impuissance acquise d'abstraire [...] marque un état qui n'est pas seulement le mien, mais celui d'une génération. [...] En son nom je m'exalte pour tout ce que le bon goût d'aujourd'hui qui se croit très différent du bon goût d'hier méprise et ravale. [...] Je suis et je resterai contre les partisans de la sottise et ceux de l'intelligence, du parti du mystère et de l'injustifiable. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 280)

[...] au mouvement Dada (1918-1921) venait de succéder un état d'esprit absolument nouveau que nous nous plaisions à nommer le mouvement flou. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 280-281)

[...] cet amateur d'ombres que je prétends être. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 281)

J'ai rencontré trop souvent de ces esprits qui n'éprouvaient pour moi qu'un goût sentimental. L'aveu pur et simple de ce que je suis leur eût semblé impossible. Il fallait me travestir à toute force pour excuser une passion honteuse. C'est par ce détour, qui rappelle les mensonges pieux, que les timides acclimatent dans leurs petites serres toutes les révoltes et tous les crimes du grand air. On met une feuille de vigne à Ravachol: et tout de suite l'anarchiste le moins réductible prend tournure de premier communiant. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 281)

Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me sais un tenant du désordre. (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 281)

À bas le clair génie français (Le Libertinage, coll. L'Imaginaire, 1977, p. 282)

Aus - Extrait de: "La demoiselle aux principes"


Pour des réalisations ultérieures, une décisive expérience s'imposait dont le sujet s'offrait en Céline. Denis avait pu, sur elle, évaluer l'effet de l'incompréhensible: les actes sans explication valable, les paroles sans possible interprétation, l'affectaient plus péniblement que les rebuffades susceptibles d'intelligence. Elle n'était nullement troublée par la liaison de son amant avec Palmyre, fait rationnel dont on pouvait syllogistiquement induire la cause et déduire les conséquences. Mais qu'on parlât un langage dénué de signification ou qu'on commît devant elle un acte non motivé (disparaître huit jours) et Céline était atteinte dans son équilibre, contredite dans ses essences, dans ses principes. Aussi pour moins de malaise, fallait-il qu'elle réagît physiquement, pleurât. (O.R.C. 2, p. 227)

Rien de raisonnable, comment vivre quand tout se libère de la logique? Les murs ne sont plus des murs, les chaises ne servent plus à s'asseoir, mais à porter d'incroyables larves. Denis lui-même s'affranchit du principe d'identité: quelle cause à ce bouleversement? Mes sens n'en perçoivent pas, surpris d'un monde obéissant à des lois neuves et inconnues. Tout de même, cela n'est pas vraisemblable. Cela contredit tout ce qui est moi, il faut que je change, et je ne le veux pas! Oh mon ami, qu'est-ce qui est sûr dans un tel désarroi? (O.R.C. 2, p. 229)

"Céline, conclut-il, était une jeune fille sensible, mais elle tenait trop à ses idées et manquait de jugement. Les femmes sont des êtres inférieurs..." (O.R.C. 2, p. 229)

R> Aus - Extrait de: "Madame à sa tour monte"

Elle [= la jeune fille Matisse, personnage central de la nouvelle] parle avec une grande distinction le langage canaille des jeunes filles de bonne maison, petit argot passé de mode, aussi faux à l'oreille que le rire sec dont elle souligne les calembours usés qu'elle prononce de temps en temps avec lassitude comme des formules de politesse. Qu'elle ait lu nos bons auteurs, et qu'au fond de son coeur elle leur préfère les mauvais, rien dans sa conversation ne le décèle. Violoniste émérite, elle ne veut jouer que les rag-times de la saison: c'est que la bonne musique la fait bâiller. (O.R.C. 2, p. 231)

Matisse abomine les styles. À l'en croire, le style n'est qu'un procédé commode de s'en remettre à autrui pour juger de la beauté d'un meuble. (O.R.C. 2, p. 231)

Pauvres philosophes de l'ameublement, vous n'aviez pas prévu ces tapis-réclames qui tout le jour parlent haut à Matisse de sa brosse à dents, des liqueurs qu'elle va boire, du cirage qui fait briller son pied errant dans leur laine, vous n'aviez pas prévu ces paillassons optimistes, ces carpettes rassurantes. Aux murs du petit salon des affiches tiennent lieu de papiers peints, se mordent si bien qu'on n'en peut lire aucune entièrement et que la curiosité s'amorce; vous rêvez. [...] L'éventail posé sur la table chante la louange des villégiatures bretonnes, le buvard est pareil à ceux des bureaux de poste parisiens. (O.R.C. 2, p. 233)

Aus - Extrait de: "Lorsque tout est fini"

À chaque fois, notre amitié remise en cause semblait à tout jamais perdue; mais nous y avions si bien pris goût que nous en reposions toujours le postulat.
Finalement cette confiance commune, si précaire pourtant, nous devint plus nécessaire que respirer; et tout ce qui n'était point elle nous parut négligeable. En même temps, nous nous accoutumions de façon insensible à une telle atmosphère dramatique, que nous en vînmes à aimer le drame, à le cultiver. Il n'était pas un acte, il n'était pas un geste, qui ne nous autorisât de nous suspecter les uns les autres, et que nous eussions laissé passer sans en demander compte à qui de droit. Aisément, ce dont nous convenions au cours d'une discussion, tournait au dogme. Nous nous prenions à une émulation de pensée, une course morale, par laquelle nous multipliions autour de nous les pièges à défaillants: nous communiquions ainsi à nos existences une accélération dont l'effet ne se fit pas attendre.
Rien de plus facile si l'on est huit, que de se persuader de la supériorité d'un genre de vie sur un autre. Nous apprîmes à mépriser les longues vies heureuses que nous avions jusqu'alors enviées, et une nuit nous fîmes le procès de toutes les jouissances humaines. L'espèce de sincérité terroriste dans laquelle nous nous obstinions nous menait naturellement à repousser avec horreur tout argument d'utilité, et bien que nous niions toute vérité, nous étions dominés par le sens d'une réalité morale absolue que certains d'entre nous eussent achetée au prix d'un martyre.
(O.R.C. 2, p. 240)

Rien n'était émoussé en nous, mais pouvions-nous jamais faire abstraction du plan intellectuel sur lequel tout apparaît inutile et vain. Nos jugements se rendaient sans cesse à l'échelle de l'infini et cet infini nous écrasait. Comment aurions-nous accepté le sort communément heureux de nos contemporains, qui ont puisé dans Auguste Comte cette tranquillité de rejeter définitivement les problèmes métaphysiques? (O.R.C. 2, p. 241)

[B.:] Il n'y a que les excès qui méritent notre enthousiasme, et s'ils ne nous rapportent que la haine, sans doute est-ce qu'ils nous vaudront tôt ou tard un amour plus durable. Et même la réaction des autres à nos actions doit-elle, peut-elle jamais motiver celles-ci? Je voudrais être sûr que toutes mes paroles, que toutes mes actions sont à jamais perdues pour le monde. En même temps que moi, le déluge. (O.R.C. 2, p. 242)

Cependant, quelle singulière contradiction, je trouvais une volupté sans pareille à noter l'échec de tout ce que j'aimais. [...] Je craignis d'être vertueux. Le désir se précisait en moi de commettre enfin l'acte vraiment indéfendable, de tout point de vue, et quand j'avais ébranlé la foi de B., j'avais goûté à l'alcool singulièrement perfide de perdre ce que nous chérissons.[...] Notions de l'antagonisme de mon individu et de ceux de mes compagnons: je m'identifiais à moi-même. Un beau jour je compris que je nourrissais en moi ce démon: le besoin de trahir. La confiance, base de notre aventure, m'apparut comme un ignoble idéalisme, une faiblesse de l'ordre de la pitié. (O.R.C. 2, p. 244)

Mais que cherchais-je en autrui? Toujours le même mécanisme, le même instant de l'esprit. Une seule chose m'attirait, m'enivrait, et j'eusse tout donné pour la provoquer sans cesse: je voulais revoir partout cette lâcheté que j'avais éprouvée en moi, cette trahison suprême, la minute où l'instinct de l'homme le déchaîne contre l'objet de son affection. Je n'ai rien épargné pour observer les hommes à ce point de sincérité. (O.R.C. 2, pp. 245-246)

Il fallait que la femme ait tout quitté pour me suivre, qu'elle fût mon ombre, une chose asservie à l'ombre de mon ombre, un timbre-poste sur mon corps. [...] Quel sens dans les lieux nuls où il se fait, prenait l'amour exacerbé par le danger et par le crime! (O.R.C. 2, p. 246)

Aus - Extrait de: "Les Paramètres"

Où le mensonge commence et prend corps, où il cesse d'être le consentement à ce qui est pour devenir le complice de l'erreur, je suis bien incapable de le dire. (O.R.C. 2, p. 249)

Sur la route de S. à R., au mois d'août 19.., un homme trouve un enfant de douze ans pendu à un arbre et déjà violet. Dépendu, l'enfant refuse d'expliquer son aventure. On ne peut rien obtenir de lui touchant ses origines. Il est placé comme ouvrier agricole chez un fermier. Il accomplit ponctuellement son ouvrage pendant trois ans. À quinze ans, interrogé à nouveau, il plaisante, prétend avoir oublié. Une femme de la cuisine, poussée par la curiosité, le rencontre à l'heure de la sieste derrière une meule:
"Tout seul, Roland, c'est la coutume?
- Vous voyez, Marie, l'habitude".
(O.R.C. 2, p. 249-250)

Paul fait la planche dans l'Oise. Bonheur qui ne s'appartient plus, l'élément. Je n'ai plus de cheveux, ni vraiment de mains, avec pouce et ongles, etc. Songer au désir. Zéphie quand elle a trop bu, c'est le fleuve. La paresse qui est entre le matin et l'amour.
De la berge, Roland regarde Paul dans l'eau, son caleçon blanc traversé par l'eau courante, n'oubliez pas qu'il fait la planche. Une flèche rousse remonte au milieu de son ventre. Un brusque mouvement des jarrets ride l'eau.
(O.R.C. 2, p. 252)

Maintenant c'est Paul qui, de sa fenêtre, regarde Roland qui se baigne, et qui se noiera sans que personne vienne à son aide. (O.R.C. 2, p. 257)

Aus - Extrait de: "L'extra"

[Incipit:] Si le vent qui descend en vrille à travers les arbres de Marmor Island, après avoir balayé le duvet que l'enfant de l'aigle abandonne dans l'aire suspendue au rocher branlant qu'escalada jadis, ses os qu'a -t-on fait de ses os blancs, le brave, le vaillant Eugène Demolder, vient hypocritement caresser, le front plissé et l'oeil oblique, le gazon qui dévale de la fontaine des Trois-Culs à la maison de Dolorès - quel nom venez-vous de prononcer? - interrogez-le sur la veuve du calfat, et vous verrez ce qu'il vous répondra. Le gazon, du moins, se souvient. C'est plutôt à lui qu'il faut adresser votre anxiété qui n'est pas seulement de la gorge, mais aussi de la poitrine, que dis-je de la poitrine? de l'esprit. Qu'on me pardonne d'emprunter au langage de la philosophie (lapin rouge et vulgaire) ce mot vague qui désigne avec précision une réalité si élémentaire que le premier damné charretier de ma connaissance ayant essuyé du revers de la manche son nez morveux et puant l'alcool n'aura pas l'idée de la mettre en doute. Vous voyez bien. (O.R.C. 2, p. 258)

[Lettre de Félix Covenol à sa femme Dolorès] [...] Toutes les fois que je fais l'amour, je me dis si Doloresse était là. Maintenant c'est avec un mousse qui ne voulait pas les premières fois: ça a bien changé. Je le pends par un pied avec une corde, et hop vas-y. Sa bouche devient violette. Il y a des jours, il m'inquiète: il me promène ses cheveux, tu croirais de la soie, sur le visage, les mains, le corps. Puis sa face semble envahie par la nuit tout d'un coup. C'est drôle. Nous ferons escale bientôt dans un pays où on a des femmes pour un timbre-poste. C'est là que tu pourrais t'en payer. [...] Le mousse a un corps blanc, blanc, blanc. (O.R.C. 2, p. 260)

Le mousse Adolphe a fini par aimer son maître et c'est à lui qu'il pense en se lavant les dents. L'homme qui fait tourner les étoiles quand sa main me frôle seulement. Ah! il n'y a pas de marguerite à effeuiller sur les bateaux. (O.R.C. 2, p. 263)

Encore un carambolage: dans lapièce à côté, le petit enfant de Dolorès gît étouffé dans son berceau. Il ne connaissait pas le genou qui opprima sa poitrine. Mère infortunée comment ne pas la plaindre? Le châtiment est trop fort. Ah oui? observez plutôt Dolorès: elle s'en fout comme de l'an quarante. Elle attire Adolphe dans ses bras, ses doigts fouillent les déchirures des vêtements, et voilà la mécanique encore une fois remontée.
Avez-vous entendu craquer des branches? Comme les genêts les primeroses sont jaunes. Au catéchisme on me donnait encore comme preuve de l'existence de Dieu la danse des moustiques au-dessus des marécages: contre toute vraisemblance ces bestioles ne s'embrouillent pas les pattes. Le mystérieux étranger entre dans la cabane de Dolorès et surprend les embrassements de la femme et de l'enfant. "Je sais tout", dit-il, et les nouveaux amants tremblent. Cette fois, cette fois, voici la punition du ciel. Pas du tout. Il y a, Dieu merci, des gens qui sont hors de la portée de votre Dieu. Avez-vu Dolorès, comme elle est belle avec ses cheveux défaits? L'inconnu rassure le couple, il commence à se déshabiller, il dit son nom: Ludovic. Adolphe et Dolorès échangent un long regard. Ludovic écarte les draps, et glisse son corps froid et mince entre les deux corps chauds qu'il caresse et qui, dans la nuit tombante, toutes les plantes de l'île se sont raidies et les insectes se sont retournés sur leur dos, se mettent tout à coup à hurler de plaisir. (O.R.C. 2, p. 265)

Aus - Extrait de: "L'armoire à glace un beau soir"

JULES. - C'est un spectacle extraordinaire, c'est un spectacle pas banal. Le marteau par terre, en haut le toit, et sur le toit le ciel, tout le ciel d'un soir d'été, tout le dernier ciel de ta vie, vaste, vaste avec ses petits bouvreuils chanteurs, des regrets et des regrets, mille pensées joyeuses, bravo le seul nuage d'or, et le soleil qui ne va plus jamais se coucher ni se lever, mais qui courra désormais comme un fou sur les routes et dans les lits des femmes sans pudeur, riant, rohahihi, riant. Il y a les bras prêts à te défendre, ces beaux bras de tantôt, prisonniers, c'est bête à dire, derrière une glace cassée. Il y a mes mains et ma rage un soir d'été. Tu les connais ces mains épaisses, l'opium et la mécanique, à ta rencontre, ces mains qui te rendaient pareille au vent chaud des faubourgs. (O.R.C. 2, pp. 285-286)

Aus - Extrait de: "Au pied du mur"


PIERRE. - Il y a une chose pire que la mort, Mélanie, une chose qui dure et qui croît avec la durée. Un homme trompé une bonne fois, pense donc: tu doutes de l'air que tu respires, voilà bien le plus dur. Autant dire que tu doutes de toi-même. Toi-même, une pauvre machine bientôt avec ce ver, et pas un médecin dans le monde pour te l'extirper. Tous ceux qui te parlent mentent. Oh cela ne finira jamais. Si tu rencontrais un de ceux-là, voudrais-tu le guérir? (O.R.C. 2, p. 296)


LA VOIX venant de haut. - Je secoue mon manteau et voici que d'un pli tombent cent hommes et cent femmes dans le désordre du plaisir. Au réveil ils ne sauront plus le nom qu'ils auront murmuré jusqu'à l'aube. Tu ne connais que toi-même, vous tous, et pour un petit temps encore vous n'est pas étranger à vous, mais qu'il prenne garde au réveil! L'autre, l'autre, et c'est toujours moi, une espèce d'alcool de contrebande. Tu prends ton plaisir où tu le trouves, et c'est toujours sur tes propres lèvres, dupe des prairies, dupe des ponts et des navires, dupe des chemises tombées derrière les jalousies de l'univers. (O.R.C. 2, p. 318)

Aus - Extrait de: "Paris la nuit"

Il y a des plaisirs qui passent pour des crimes, c'est que communément on n'y a pas goûté. Du temps qu'il y avait des esclaves, le loisir qu'on avait d'essayer au moins presque toute chose rendait moins sévère le jugement qu'on en portait. Je ne dis pas cela par excuse. Enfant, je me coupait, par goût, ainsi.
Mais on n'agit pas toujours à son gré et la rareté d'un mets en fait et le prix qu'on y attache et celui qu'on le solde.
(O.R.C. 2, p. 324)

Un endroit absurde dans la moelle de l'ombre avec des inconnus d'Ève ou d'Adam, et je suis là planté, parmi mes accessoires: un petit décor mesquin zinc et stuc, un bistro qui n'est pas d'équerre, le sifflet des grandes cafetières, et un verre dans ma main gauche, tiens par exemple: quel est ce breuvage pareil à l'opale?
Voilà bien la vie: tu n'as pas choisi non plus ce cadre peluche et nuage où se pavanent parmi la molesquine et les franges les portraits de famille qui te poursuivent depuis ta naissance, mon cher. Trois points bleus et une lettre au défaut du pouce attachent mes regards sur la main du crieur de journaux qui joue avec sa tasse au comptoir.
On dirait que toute curiosité vient de mourir.
(O.R.C. 2, p. 326)

Nous marchions lentement les uns contre les autres dans cette obscurité presque complète qui ne laissait guère qu'au toucher le pouvoir de nous renseigner sur chaque chose. Cela faisait un ruissellement de corps qui se mesuraient sans trop se l'avouer, car où étions-nous? Rares audaces, peurs de déconvenues, et le souvenir d'un contact précédent: les hésitations de cette foule semblaient présider à quelque choix. Il se formait peu à peu dans chaque esprit une espèce de monstre, assemblage au hasard des morceaux d'hommes et de femmes qui éveillaient tour à tour un désir passager. Cela devenait une espèce d'ivresse montante où les individus se dénouaient.
Je connais des parties de mon corps qui se croient toujours frustrées aux dépens de leurs voisines. Je connais des coins de ma peau qui ont des instincts propres et contradictoires. Ceci aime écraser, et cela... mais qu'importe l'objet de tout ce délire? Je me cramponne à une tapisserie qui représente la création.
Chacun devenait dans ce chaos le lieu géométrique de quelques plaisirs partiels. L'ardeur de chacun se distribuait à plusieurs, toute la salle était une corde embrouillée par un espiègle: je donne ma langue aux chats. Il se trouvait que chacun satisfaisait à plusieurs vices et en satisfaisait plusieurs.
Le difficile semblait être de se retrouver soi-même.
(O.R.C. 2, pp. 327-328)

Donc, dans le jardin, chaque arbre avait son Sébastien, et les femmes qui les caressaient distraitement au passage blessaient leurs doigts parfaits aux barbes des flèches. Je me sens à la fois ce corps attaché, et celui qui se promène, et vingt autres. Cette petite surprise un beau matin si le ciel s'ornait de plusieurs soleils. À la lumière des désirs qui me viennent de tous côtés, les régions d'ombre qui dorment en moi se découpent d'une façon étrange. [...] Il n'y a pas un corps qui ne me porte à l'amour. Le goût de toute créature pour toute autre me devient clair comme l'eau de roche: je comprends les pires habitudes, les entraînements subits, tout ce que vous croyez immonde, et qui arrache à la fois les cris de l'indignation et ceux du plaisir, ce grand fou. (O.R.C. 2, pp. 329-333; "Pléiade"/Aragon/Romans 1, p. 396)

Une grande vérité éclate avec le bruit du tonnerre; c'est la fonte des neiges, mes enfants, tous les moyens sont bons à la satisfaction immédiate des corps. (O.R.C. 2, p. 332)

Je suis, je suis...j'ai trouvé ma vocation. Je suis Marie-la-Consolatrice. [...] Il arrive que la modestie du condamné se contente d'une cigarette. Il arrive que sa stupeur ne lui permette de rien trouver. Mais parfois il lui vient un voeu qui fait hocher la tête au gardien de la prison. C'est alors que j'interviens, moi la Marie.
Depuis Félix Faure, je n'ai pas fait défaut à un seul de ceux qui m'ont invoquée. Jolis amants rasés, ils m'aiment sans arrière-pensée, ceux-là. [...] Alors dans la petite aube, tandis que les gardiens épient par le trou de la serrure, s'accomplit la chose admirable, une fois de plus, et je chante la chanson que j'aime et qui parle tendrement des lilas.
(O.R.C. 2, pp. 333-334)

Aus - Extrait de: "La Femme française"

Les mots les plus froids s'ils me parlent de l'amour, me voilà brûlante. Aussi les corps. Est-ce là manquer à la fidélité? Mais une main, mais un regard, ou quelqu'une de ces expressions très simples qui sont monnaie courante: "ils ne vivent que l'un pour l'autre", et je ne m'appartiens plus. Mon ami c'est toi seul qui m'appris à goûter ainsi les lèvres. Je ne sais sans trembler fixer une bouche jeune, et bien rouge, et si je la rencontre... mais comprendras-tu jamais quel amour au fond de tels égarements? (O.R.C. 2, pp. 340-341)

Tu me l'assures: sans doute est-ce un grand malheur de naître si caressante. Va, je subis plus qu'une autre les maux de l'absence. La température excessive de l'été crée un lien entre deux amants qu'elle obsède. Je me suis mise à l'aise tout cet après-midi et je ne pouvais me faire à l'idée que j'étais seule dans l'appartement. Te l'avouerais-je? je sentais partout la présence d'un inconnu. Tu vois, je suis franche. (O.R.C. 2, p. 341)

Mathilde jure qu'on guérit l'amour avec des tisanes. Je vous demande un peu. Mon chéri, si tu voyais les bas que je porte. Je passe des journées à les contempler. Je ne peux pas découvrir mes jambes sans penser aux tiennes. Ne fais pas l'imprudent surtout: aie des filles, tu serais malade. (O.R.C. 2, p. 342)

J'ai suivi un homme dans la rue. Un garçon de trente, trente-deux ans. Je me demandais aussi quel plaisir vous preniez vous autres. Oh de très loin, cette fois. Assez beau, de dos: une espèce d'agilité tranquille. C'est singulier comme cela capte l'attention. Je me trouvais prise par tout le corps. Le pas réglé sur celui de l'autre, il semble qu'on y est. Tout l'opposé de toi, ce passant qui ne s'est douté de rien.
Je recommencerai. Ça m'a laissée rêveuse.
(O.R.C. 2, p. 347)

Comment te comportes-tu donc avec les femmes, toi, pour m'adresser de pareils reproches? Je cherche une idée simple de l'amour. Partout ce n'est que mensonge, hypocrisie. Tout ce qu'on invoque, comment y souscrire après cet éclair seulement dans leur oeil, qui dépasse chacune de leurs paroles? Drôle de chose, le désir. (O.R.C. 2, p. 348)

J'ai la vulgarité en horreur. (O.R.C. 2, p. 349)

Laisse là cette jalousie fausse, ce point d'honneur. Je suis femme, après tout, et qu'est-ce qui t'attache à moi? Ne manqueras-tu jamais à me reprocher ma franchise? Je ne puis, je ne puis me partager entre l'amour et la froideur. Cela ne me sort pas de la tête. Aimer que veux-tu, n'est pas une question de personne. Il y a déjà quelque absurde anomalie à te réserver certains privilèges. (O.R.C. 2, p. 352)

Madame, comme mon fils m'en a exprimé par écrit le désir, je vous transmets le paquet de lettres qui se trouvait près de lui à la dernière minute. Mon fils me charge également de vous dire que ce n'est pas pour vous qu'il s'est tué. Croyez, Madame, que je vous fais cette triste commission sans en rien conclure. (O.R.C. 2, p. 366)





Zurück zu Louis Aragon - Le Libertinage
Retour à Louis Aragon - Le Libertinage



Letzte Änderung - Dernière mise à jour: 09.04.97
Les citations destinées à illustrer mon commentaire, à mettre le lecteur "au parfum" et à l'inciter à la lecture de l'ouvrage entier sont faites selon le principe du "fair use". Elles ne prétendent en aucune manière rendre compte de tous les aspects de l'oeuvre.
Copyrights:
Texts: Copyright © by Éditions Gallimard, Paris
Selection of Quotations: Copyright © 1997-2001 by Wolfgang Babilas

This document was created with HomeSite 2.5