- 1926
Ils cherchent, ils attendent de ces bosquets perdus sous les feux du risque une femme qui n'y soit pas tombée, une femme de propos délibérée, une femme ayant de la vie un sens si large, une femme si vraiment prête à tout, qu'elle vaille enfin la peine de bouleverser l'univers.
Le Paysan de Paris, L'O.P., t. 1, livre III, p. 832
- 1926
Femme, tu prends pourtant la place de toute forme. [...] et tout meurt à tes pas. À tes pas sur le ciel une ombre m'enveloppe. À tes pas vers la nuit je perds éperdument le souvenir du jour. Charmante substituée, tu es le résumé d'un monde merveilleux, du monde naturel, et c'est toi qui renais quand je ferme les yeux. Tu es le mur et sa trouée. Tu es l'horizon et la présence. L'échelle et les barreaux de fer. L'éclipse totale. La lumière. Le miracle: et pouvez-vous penser à ce qui n'est pas le miracle, quand le miracle est là dans sa robe nocturne? Ainsi l'univers peu à peu pour moi s'efface, fond, tandis que de ses profondeurs s'élève un fantôme adorable, monte une grande femme enfin profilée, qui apparaît partout sans rien qui m'en sépare dans le plus ferme aspect d'un monde finissant.
Le Paysan de Paris, L'O.P., t. 1, livre III, p. 873-874
- 1926
La grande femme grandit. Maintenant le monde est son portrait, ce qu'elle n'a point encore absolument englobé des parcelles assemblées de son corps, ce qui n'est pas encore incorporé à son délice, à peine est épargné par mon délire. Et ce qui s'estompe, cette fumeuse réalité fuyante, est est enfin réduit à l'accessoire du portrait. Montagnes, vous ne serez jamais que le lointain de cette femme, et moi, si je suis là c'est pour qu'elle ait un front où se pose sa main. Elle grandit. Dèjà l'apparence du ciel est altérée de cette croissante magicienne. Les comètes tombent dans les verres à cause du désordre de ses cheveux. Ses mains, mais ce que je touche participe toujours de ses mains. Voici que je ne suis plus qu'une goutte de pluie sur sa peau, la rosée.
Le Paysan de Paris, L'O.P., t. 1, livre III, p. 874
- 1926
Mer, aimes-tu bien tes noyés pourrissants? aimes-tu la douceur de leurs membres faciles? aimes-tu leur amour renonçant de l'abîme? leur incroyable pureté, et leurs flottantes chevelures? Alors qu'elle (la femme) m'aime, mon océan. Passe à travers, passe à travers mes paumes, eau pareille aux larmes, femme sans limite, dont je suis entièrement baigné. Passe à travers mon ciel, mon silence, mes voiles. Que mes oiseaux se perdent dans tes yeux. Tue, tue: voici mes forêts, mon coeur, mes cavalcades. Mes déserts. Mes mythologies. Mes calamités. le malheur. Et dans ce zodiaque où je me perpetue, saccage enfin, beau monstre, une venaison de clartés.
Le Paysan de Paris, L'O.P., t. 1, livre III, p. 874
- 1926
La femme est dans le feu, dans le fort, dans le faible, la femme est dans le fond des flots, dans la fuite des feuilles, dans la feinte solaire où comme un voyageur sans guide et sans cheval j'égare ma fatigue en une féerie sans fin. Pâle pays de neige et d'ombre, je ne sortirai plus de tes divins méandres. Ainsi retrouvant l'inflexion heureuse de ta hanche ou le détour ensorceleur de tes bras dans le plus divers des lieux où me ramènent toute l'inquiétude de l'existence et cet immense espoir qui s'est posé sur moi, je ne puis plus parler de rien que de toi-même; et ne t'y trompe pas quand je dissimulerai, tous mes mots sont pour toi, et sont ton apparence.
Le Paysan de Paris, L'O.P., t. 1, livre III, p. 875
- 1926
La merveille c'est que j'aie fui de la femme vers cette femme. Passage vertigineux: l'incarnation de la pensée, et m'y voilà, je ne puis concevoir un plus grand mystère. Hier à tâtons je me prenais à des abstractions vides. Aujourd'hui une personne me domine, et je l'aime, et son absence est un mal intolérable, et sa présence... Je ne peux pas comprendre sa présence, et rien n'est naturel en elle, en son pouvoir. Une attitude. Un mot. Un déplacement de sa robe. Oh, quand le bracelet joue auprès de la chair.
Le Paysan de Paris, L'O.P., t. 1, livre III, p. 903
- 1926
Quand l'idée de l'amour, de cet amour, précisément de cet amour, se leva-t-elle en mon esprit, c'est à quoi je ne puis à la fois, et je puis bien répondre. Tout me séparait de celle que j'entrepris d'abord de fuir, et fuir en moi-même surtout. Il y a dans mon emportement avec les femmes une certaine hauteur, qui tient à plusieurs regrets que j'ai, à ce que j'ai longtemps cru qu'une femme, au mieux pouvait me haïr, à ce sentiment horrible de l'échec qui me porte toujours aux confins d'une ombre mortelle. Cette femme-ci, je me suis défendu de l'aimer, j'ai détourné d'elle avec une sorte de terreur qui avoue, les regrets mêmes du souvnir. Divers sentiments que j'avais me dictaient aussi ma conduite. Sans doute alors devinai-je pourtant sans fixer les traits d'un fantôme, une modification de mon coeur, le filigrane étrange de l'amour commençant déjà d'y paraître. Je crus à une disposition générale de mon humeur, et c'est dans ce désordre réel que je rencontrai une autre femme. Que je le lui avoue aujourd'hui, que tout ceci s'endort, et u'elle me pardonne. Je l'ai aimée à ma façon de ce temps-là, comme il m'était possible, et sabs savoir que son image à une autre était pourtant mêlée, je l'ai bien aimée sans mentir, d'un amour quo ne s'est effacé que devant l'amour même, et elle sait très bien qu'elle m'a rendu malheureux. Aux obstacles qu'elle m'opposait, pourtant plusieurs fois défaillante, je n'ai point usé cet amour, et sans doute qu'il y puisait sa vie. Mais entendez-moi, chère amie, j'ai retrouvé en moi ce que j'avais nié. Vous étiez ma seule défense et déjà vous vous éloigniez. Alors j'ai été malheureux pour l'autre, sans croire qu'elle en saurait rien. Je vivais sans aucun effort pour me rapprocher d'elle. J'ai dit que d'autres sentiments, alors, m'en écartaient. Puis je tremblais d'éprouver ma faiblesse. Je craignais que le jour ne me devînt intolérable, si elle m'humiliait une fois. Elle fit cette chose extraordinaire, de m'appeler à elle: et moi je vins. Soirée du trouble, soirée éclipse: alors devant le feu qui jetait sur nous deux ses grandes lueurs, j'accédai, voyant ses yeux, ses yeux immenses et tranquilles, j'accédai à l'idée de cet amour conçu et nié, qui s'imposait soudain à moi dans l'évidence, à la portée de ma main qui se croyait démente. Je ne me hâtai point. Cela dura des heures et des heures, sur le versant insensible de l'aveu. Il n'y eut point de rupture entre l'indifférence et l'amour. Une porte enfin cède, et c'est ainsi qu'apparaît le merveilleux paysage.
Le Paysan de Paris, L'O.P., t. 1, livre III, p. 904
- 1927
Car au-delà de toi c'est comme le silence après la tempête
le silence qui suit la tempête et qui ne regrette pas la tempête après la tempête Ô ma chère tempête les pétales battants de tes tempes
N'es-tu pas le vice de toute chose et la paille dans le papier la chute enivrante de la monnaie à un tournant de l'histoire le défaut du rubis la blessure du verre le déflorement du printemps par la grêle n'es-tu pas la grêle et le pare-grêle [...]
N'es-tu pas la cimaise à rebours d'une ville où les jardins poursuivent dans les caves leurs rêves sans chlorophylle
N'es-tu pas la laitue étrange de ma vie
Ou me suis-je trompé de trésor conquistador distrait [...]
"Dans la forêt", L'O.P., t. 2, livre IV, p. 88
- 1929
Mais ici même si on ne sait d'où elle (= la femme) tombe
D'où tombe-t-elle d'ailleurs D'ailleurs
Il me plaît d'opposer à la clique des têtes à claques
Une femme très belle toute nue
Toute nue à ce point que je n'en crois pas mes yeux
Bien que ce soit peut-être la millième fois
Que ce prodige s'offre à ma vue
Ma vue est à ses pieds
Son très humble serviteur
"Partie fine", La Grande Gaîté, L'O.P., t. 2, livre IV, p. 203
- 1928
La troisième visite est celle d'une femme adorée Tout s'éclaire d'un nouveau jour Ce sont des illuminations sans fin les cris de l'amour les sanglots les mirages les apparitions les vertiges Là où les mots s'élèvent au-dessus du réellà où le réel s'agenouille surgit avec une douce musique la forme éternellement muée de la séduction Ô femme ne fais pas attendre plus longtemps la chute de ton sautoir de perles saute les perles saute les mots voici le pays des chansons [...]
"Celui qui s'y colle", L'O.P., t. 2, livre IV, p. 303-304