1926
L'idée de Dieu, au moins ce qui l'introduit dans la dialectique, n'est que le signe de la paresse de l'esprit. Comme elle se levait pour arrêter toute véritable dialectique au premier pas, au second elle réapparaît par un détour semblable, et l'on voit qu'il est facile de diviniser l'ordre après le désordre, ou dans le cours du développement de ces notions de les réunir en Dieu. C'est à ce stade que l'idéalisme transcendantal s'est arrêté, et certes donnait-il à l'idée de Dieu une place plus satisfaisante pour l'esprit que celles qu'on lui assigna précédemment. Mais, dans l'instant que je reconnais dans l'idée même du médiateur absolu la même lâcheté, la même fatigue de l'esprit qui m'était montrée dans les théologies par les idéalistes, je porte contre eux, l'esprit porte contre eux, la condamnation qu'ils ont prononcée contre celles-ci. C'est à examiner sous ses trois formes, à trois étapes de l'esprit, l'apparition de l'idée de Dieu, que je reconnais le mécanisme de cette apparition, que je peux prévoir que je suis susceptible de succomber à cette idée, que je peux par avance me condamner dans la mesure où cette défaillance m'apparaît en moi-même, sa virtualité. Et que je généralise les propriétés de cette idée, par lCe ne saurait en aucun cas être un principe métaphysique. Elle mesure une incapacité de l'esprit, elle ne saurait être le principe de son efficience.
De là à conclure à l'impossibilité de la métaphysique il n'y a qu'un pas pour un esprit vulgaire. Voilà ce qui fait qu'une intuition de ce point de la réflexion, qui vient parfois aux hommes sans la conscience des étapes intermédiaires qui m'y portent, les a souvent entraînés à ce jugement de l'impossibilité de la métaphysique. C'est que pour eux Dieu est l'objet de la métaphysique. Si l'on ne peut, soutiennent-ils avec une apparence de bonheur, atteindre par la métaphysique à l'idée dont elle fait son objet, c'est que l'esprit doit se l'interdire. Erreur dont l'ingénuité a connu une incroyable fortune. Outre qu'elle liait la métaphysique à un objet qui lui est étranger, elle se réclamait d'un pragmatisme inconscient qui ferait sourire. Il se trouve que les hommes ont pendant près d'un siècle accepté comme seule raisonnable cette idée qui constitue un véritable suicide de l'esprit. Tout raisonnement bâti sur le même modèle, mais qui n'aurait pas l'esprit seul pour matière paraîtrait monstrueux, indigne, et ferait traiter de fou celui qui reproduirait la démarche habituelle du positivisme.
* Idée dégoûtante et vulgaire.
Le Paysan de Paris, L'O.P., t. 1, livre III, p. 899-900