Universit�t M�nster - Institut f�r Fr�hmittelalterforschung - Forschungsprojekte - Projekt Cluny

D'apr�s Dominique IOGNA-PRAT, � Les premiers abb�s de Cluny (X^e-XI^e si�cle) �, dans Histoire des saints et de la saintet� chr�tienne, tome V (Les saintet�s dans les empires rivaux [815-1053], s. d. Pierre Rich�), Paris, Hachette (D�p^t. Histoire Chr�tienne), 1986, p. 97-100.

Le 11 septembre 909, Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine, fait don � Bernon, abb� de Baume et de Gigny, d'une villa situ�e � 3 lieues au nord-ouest de M�con pour y fonder monast�re b�n�dictin plac� sous le patronage des ap�tres Pierre et Paul. Dans la charte de fondation, Guillaume renonce � tout droit sur l’�tablissement, abandonne au couvent la libre �lection de l'abb� et place l'abbaye directement sous la protection du Saint-Si�ge. D�s l'acte de fondation est ainsi marque ce qui restera au cours des si�cles l'id�al des moines bourguignons : l'ind�pendance � l'�gard des pouvoirs temporel et spirituel.

Pour expliquer le succ�s du premier Cluny, � ce soutien pontifical s'ajoute l'exceptionnelle long�vit� des premiers abb�s ; on n'en compte que six pour les deux premiers si�cles : Bernon (909-927), Odon (927-942), Aymard (942-954), Ma�eul (954-994), Odilon (994-1049) et Hugues (1049-1109).

Acte de fondation de Cluny

Pour l'amour de Dieu et de notre Sauveur J�sus-Christ, je fais tradition de biens de mon propre droit, aux saints ap�tres Pierre et Paul : c'est � savoir la villa de Cluny, avec un courtil et un manse dominical et une chapelle consacr�e � la Vierge et � saint Pierre avec les choses qui en d�pendent, villages, chapelles, serfs des deux sexes, vignes, champs, pr�s, for�ts, eaux et cours d'eau, moulins, entr�es et sorties, terres cultiv�es et incultes sans aucune restriction. Tous ces biens sont situ�s dans le comt� de M�con ou alentour et d�limit�s exactement.

� […] je donne toutes ces choses auxdits ap�tres � condition qu'on construise � Cluny un monast�re r�gulier en l'honneur des ap�tres Pierre et Paul et que l� se r�unissent des moines vivant sous la r�gle de saint Beno�t poss�dant, d�tenant et gouvernant � perp�tuit� les choses conc�d�es, en sorte que cette maison devienne la v�ritable demeure de la pri�re. Qu'elle soit pleine sans cesse de vœux fid�les et de supplications pieuses et qu'on y recherche � jamais avec ardeur les merveilles d'un entretien avec le Ciel […] Que tous les cinq ans lesdits moines paient � Rome dix sous au seuil des ap�tres pour entretenir leurs luminaires ; qu'ils aient la protection desdits ap�tre et du pontife romain […] Il nous a plu aussi d'ins�rer dans cet acte que, de ce jour, lesdits moines ne soient soumis au joug d'aucune puissance terrestre, ni de nous, ni de nos parents, ni de la grandeur royale ; qu'aucun prince s�culier, ni comte, ni �v�que, ni m�me le pontife romain – j'en appelle � Dieu, � ses saints et au jour redoutable du jugement – n'envahissent les biens des serviteurs de Dieu, n'en soustrait quelque chose, ni les diminue, ne les �change, ne les donne en b�n�fice � quelqu'un […] et je vous supplie donc, saints ap�tres et glorieux princes de la terre, Pierre et Paul, et toi pontife des pontifes du si�ge apostolique que, par l'autorit� canonique et apostolique vous avez re�ue de Dieu, vous excluiez de la communion de la Sainte �glise de Dieu et de la vie �ternelle les voleurs et les envahisseurs de ces biens que je vous donne et que vous soyez les tuteurs et les d�fenseurs dudit lieu de Cluny et des serviteurs de Dieu qui y habitent.

Traduction P. Rich� et G. Tate, Textes et documents d’histoire du Moyen �ge, Ve-Xe si�cle, t. II, Paris, 1974, p. 509-510.

Berno. Abb� de nombreux monast�res, en particulier de Baume et de Gigny ; premier abb� de Cluny (909-927). N� vers 850 ; mort � Cluny le 13 janvier 927. F�t� le 13 janvier

Odo (Otto, Othon, Eudes). Deuxi�me abb� de Cluny (927-942). N� vers 880 ; mort � Tours le 18 novembre 942. F�t� le 18 novembre et le 29 avril

Aymardus (Heymardus). Troisi�me abb� de Cluny (942-954). Mort en 963 ou 965. F�t� le 4 octobre

Maiolus. Quatri�me abb� de Cluny (954-994). N� vers 910; mort � Souvigny en Bourbonnais le 11 mai 994. F�t� le 11 mai

Odilo. Cinqui�me abb� de Cluny (994-1049). N� en Auvergne en 961 ou 962; mort � Souvigny dans la nuit du 31 d�cembre 1048 au 1 er janvier 1049. F�t� le 11, janvier

BERNON

Les origines du fondateur de Cluny sont incertaines. Bernon, n� vers 850, serait le fils du comte Audon, qui poss�dait des terres dans les environs de Gigny (Jura) et qui donna asile aux moines de Saint-Maur de Glanfeuil chass�s par les invasions normandes. Bernon commence sa carri�re monastique dans une communaut� (peut-�tre � Saint-Martin-d'Autun) marqu�e par la r�forme de Beno�t d’Aniane. Il gagne plus tard l'abbaye de Baume avant de fonder, � la mort de son p�re, une nouvelle abbaye � Gigny, en 889. Il s'inspire, l� encore, de l'exemple de Beno�t d'Aniane. En 894 il obtient du pape Formose que Baume et Gigny soient plac�es sous la juridiction du Saint-Si�ge.

Le 11 septembre 909, Bernon est appel� � fonder le monast�re de Cluny. Il y place douze moines venant de Baume et de Gigny, dirig�s par Odon et Hugues d'Autun. Il fonde d'autres monast�res � Bourg-Dieu, Morsay et Mouthier-en-Bresse. En 926, il confie son h�ritage monastique d'une part � son neveu Guy, d'autre part � Odon, qui re�oit la direction de Cluny, Morsay et D�ols. Bernon meurt le 13 janvier 927 et est enterr� � Cluny. Dans la premi�re histoire de la saintet� clunisienne, Bernon, �clips� par Odon, ne joue qu'un r�le secondaire.

ODON

N� vers 880, Odon est le fils d'Abbon, aristocrate lettr� manceau ou plus probablement limousin. Son disciple et biographe Jean de Salerne rapporte que son p�re et sa m�re, Hildegarde, consacr�rent Odon � un prestigieux saint Martin de Tours. Odon est envoy� � la Cour du duc d'Aquitaine s'initier au m�tier des armes. Mais une maladie l'oblige � abandonner cette carri�re. Il entre alors dans la communaut� canoniale de Saint-Martin de Tours. Il y commence ses �tudes qu'il compl�te � Paris sous la f�rule de R�mi d’Auxerre. De retour � Tours, il a la bonne fortune de recevoir du comte Foulque une pr�bende de chanoine � Saint-Martin. Il s'adonne alors � une vie d'asc�se et d'�tude, composant un abr�g� des Moralia in Job, de Gr�goire le Grand, le pape-moine dont la pens�e marque profond�ment l'œuvre d'Odon.

� la suite de l'incendie de Saint-Martin et de son bourg monastique en 903 par les Normands, Odon est amen� � quitter Tours. D�sireux de mener une vie plus aust�re que celle de chanoine, il gagne l'abbaye de Baume, alors dirig�e par Bernon. C'�tait une des rares communaut�s, dit Jean de Salerne, o� la vie r�guli�re dans l'esprit de Beno�t d’Aniane �tait scrupuleusement observ�e. Bernon, qui distingue rapidement Odon, lui confie d'abord la charge de l'�cole claustrale de Baume, avant de l'envoyer diriger le monast�re de Cluny. Aussi est-ce Odon qui est consid�r� comme le v�ritable fondateur de Cluny. C'est lui, en effet qui dans ses �crits met en forme les id�aux du premier esprit clunisien.

Cet ancien chanoine de Saint-Martin de Tours est venu � Cluny, dit son biographe, avec une centaine d'ouvrages. C'est le point de d�part de la biblioth�que de Cluny, monast�re de ha culture, tr�s marqu� d�s ses premi�res d�cennies par les derniers ma�tres de la renaissance carolingienne, en particulier par ceux de l'�cole d’Auxerre, Haymon, H�ric et R�mi, dont Odon a �t� l'�l�ve � Paris. Les �crits d'Odon, on l'a dit, repr�sentent la premi�re mise en forme de l’ � esprit clunisien �.

C'est �galement Odon qui donne � Cluny sa tradition de centre r�formateur. De ce point de vue, le soutien pontifical a �t� d�terminant. En 931, le pape Jean XI accorde, dans un privil�ge, � Cluny un droit de r�forme permettant � son abb� de prendre en charge tout monast�re � la demande d'un abb� la�c et d'accueillir tout moine dont le monast�re refuse d'�tre r�form�. C'est le premier d'une longue s�rie de privil�ges pontificaux jalonnant l'histoire du monast�re.

Odon r�dige, � la demande de Turpion, �v�que de Limoges, les Collationes, sorte de collection d'enseignements monastiques. Ses deux �crits majeurs sont l'Occupatio, vaste fresque de l'histoire du salut depuis la Pentec�te, et la Vie de saint G�raud, dans laquelle il �nonce l'image du guerrier chr�tien et de l'homme de pouvoir id�al.

Le testament de Bernon lui confie, en 927, la direction de Cluny, de Morsay et de D�ols. Mais on retrouve aussi Odon abb� � titre personnel d'autres monast�res, entre autres de Saint-Beno�t-sur-Loire, o� il est appel� � restaurer la discipline monastique, de Saint-Julien de Tours, de Saint-Pierre-le-Vif � Sens, et d'autres monast�res � Aurillac, Sauxillanges, Tulle et Limoges.

Odon meurt le 18 novembre 942. Sa biographie, r�dig�e peu de temps apr�s sa mort par son disciple Jean de Salerne, est la premi�re expression de la saintet� abbatiale clunisienne, reprise et prolong�e autour de l'an mille en l'honneur saint Ma�eul.

AYMARD

Troisi�me abb� de Cluny, Aymard (942-954) est mal connu; � tel point que l'on h�site – les documents clunisiens donnant des informations contradictoires – sur la date de sa mort : 963 ou 965 ? Odilon, dans la g�n�alogie des premiers abb�s clunisiens qu'il r�dige en pr�lude � sa Vie de saint Ma�eul, le pr�sente comme un homme � de grande simplicit� et innocence, pieux religieux et d'un grand z�le dans l'accroissement du patrimoine clunisien �. L'�tude du cartulaire de Cluny confirme cette appr�ciation. En 954, devenu pratiquement aveugle, Aymard choisit Ma�eul comme coadjuteur. � partir de cette date, c'est � ce dernier que revient l'essentiel de l'administration de Cluny; on voit cependant appara�tre encore de loin en loin le nom d'Aymard dans les chartes clunisiennes jusqu'en septembre 965. Comm�mor� aujourd'hui le 4 octobre dans l'ordre de saint Beno�t, Ayrnard passe plut�t inaper�u dans l'histoire de la saintet� clunisienne. Il est vrai qu'il est entour� de deux immenses figures qui ne pouvaient que lui faire de l'ombre : Odon et Ma�eul.

MA�EUL

Dans la lign�e abbatiale clunisienne, saint Ma�eul est le quatri�me abb� de Cluny (954-994). N� vers 910 � Valensole, Ma�eul appartient par son p�re, Fouquier de Valensole, � une riche famille qui poss�dait des terres en Provence orientale et, par sa m�re, Raymonde, au lignage des Aubry, vicomtes de Narbonne dans les ann�es 870, puis vicomtes et comtes de M�con dans la premi�re moiti� du Xe si�cle. Les incursions sarrasines, qui d�solent la. Provence au d�but du Xe si�cle, obligent les parents de Ma�eul � se r�fugier � M�con. Dans cette ville, Ma�eul �tudie � l'�cole cath�drale avant de partir suivre l'enseignement d'Antoine, au monast�re lyonnais de l'Ile-Barbe.

De retour � M�con, Ma�eul devient diacre. Apr�s avoir refus� d'acc�der � la charge d'archev�que de Besan�on, il entre � Cluny entre 943 et 948. L'abb� Aymard lui confie d'abord la charge d'apocrisiaire avant de l'appeler � lui succ�der comme abb� en 954.

Commencent alors quarante ann�es d'activit�s incessantes, d'abord comme coadjuteur d'Aymard, puis comme seul abb�. Ma�eul, lecteur assidu du pseudo-Denys l'Ar�opagite, est d'une grande culture et le scriptorium (atelier de scribes) de Cluny est tr�s actif sous son abbatiat. Il est, en partie, l'�dificateur de Cluny II, dont la construction a commenc� sous Aymard. Il voyage beaucoup ; il visite les �tablissements clunisiens de Bourgogne, de Provence, et d'Italie; il est appel� par de grands la�cs – en particulier les souverains ottoniens et cap�tiens, et le duc de Bourgogne – � fonder ou � restaurer des monast�res � Ravenne (Saint- Apollinare in Classe), Pavie (Sainte-Marie, Saint-Sauveur, Saint-Pierre-au-Ciel-d'Or), L�rins, Auxerre (Saint-Germain), pour s'en tenir aux plus importants. Dans cette t�che, ses disciples Andr�, Heldric et Guillaume de Dijon l'aident et le relaient. Au cours d'un de ses voyages, en 972, il est captur� dans les Alpes par une troupe de Sarrasins. Peu apr�s sa lib�ration contre ran�on, cet affront est lav� par la � guerre men�e au nom de saint Ma�eul �, que dirige Guillaume II, comte de Provence. C'est au terme de cette exp�dition que les Sarrasins sont d�log�s de leur repaire. Appel� par Hugues Capet � r�former le monast�re de Saint-Denis, Ma�eul fait �tape au prieur� de Souvigny. Il ne va pas plus loin ; il y meurt le 11 mai 994. Le culte de Ma�eul – qui conna�t en Odilon et Heldric de z�l�s propagateurs – na�t tr�s vite et son tombeau de Souvigny devient bient�t un lieu de p�lerinage tr�s fr�quent�. En 997, lors d'une �pid�mie du � mal des ardents �, Ma�eul est, selon le t�moignage de Raoul Glaber, avec saint Martin de Tours et saint Ulrich d'Augsbourg, l'un des trois saints les plus sollicit�s et attire des foules � de tout l'univers �. L'histoire du culte de Ma�eul reste � �crire. Les t�moignages liturgiques sont abondants tout au long du Moyen �ge.

ODILON

N� en 961 ou 962 en Auvergne, pr�s de Lavo�te-Chilhac (Haute-Loire), Odilon de Mercœur fut d'abord chanoine de Saint Julien de Brioude. Il se laisse attirer par saint Ma�eul � Cluny vers 990. Il comptera d�sormais parmi les plus fid�les disciples du saint abb� qui le choisit comme coadjuteur en 993. Cinqui�me abb� de Cluny (994-1049), Odilon marque l'histoire du monast�re d'une fa�on d�terminante. C'est de son abbatiat et de celui d'Hugues, son successeur (1049-1109), que date le d�but du rayonnement, tant sur le plan spirituel que temporel, de Cluny aux dimensions de tout l'Occident latin. Autour de l'an mille, le patrimoine du monast�re continue de s'accro�tre, et, dans un contexte de d�sagr�gation du pouvoir central, se constitue la seigneurie clunisienne.

Odilon, administrateur �nergique et fin politique, doit alors vigoureusement combattre les attaques de certains ch�telains du M�connais contre les biens du monast�re. C'est �galement sous son abbatiat que se constitue l' � ordre � de Cluny, vaste r�seau d'�tablissement d�pendant de l'abbaye m�re. Mais, sur le plan spirituel, la notion d'ordo cluniacensis re�oit une acception plus large. Des la�cs, par exemple, sont inscrits � titre de familiers au n�crologe clunisien. Cluny devient ainsi une vaste fraternit� r�unissant r�guliers et s�culiers, clercs et la�cs, vivants et morts. L'activit� liturgique prend une part �norme dans l'horaire des moines.

C'est Odilon qui instaure la comm�moration de tous les d�funts au lendemain de la Toussaint. C'est �galement lui qui ach�ve la construction de Cluny Il et dote la communaut� d'un coutumier (Liber tramitis aevi Odilonis). Le travail id�ologique accompli au scriptorium clunisien sous son abbatiat n'est pas moins important. C'est de son �poque que date, en particulier, la constitution d'une historiographie proprement clunisienne : les c�l�bres Histoires de Raoul Glaber, en partie �crites � Cluny, lui sont d�di�es. Son œuvre personnelle est riche de sermons qui manifestent sa d�votion eucharistique et mariale et de textes hagiographiques relatifs � saint Ma�eul et � l'imp�ratrice Ad�la�de Peut-�tre lui doit-on �galement une �pitaphe consacrant en l'empereur Otton le Grand un d�fenseur de la paix - id�al pour lequel Odilon a lutt� toute sa vie, au point que l'on voit souvent en lui l'un des inspirateurs, autour de l'an mille, du mouvement de la paix de Dieu.

Odilon, d�c�d� dans la nuit du 31 d�cembre 1048 au 1er janvier 104 Souvigny, repose aupr�s de son pr�decesseur, Ma�eul. Dans l'histoire de saintet� clunisienne, les deux figures abbatiales sont d'ailleurs �troitement associ�es et Odilon, promoteur culte de saint Ma�eul a vu rejaillir lui-m�me une bonne partie des louanges destin�es � chanter son ma�tre.